droit ; il était certain du succès. Mais son esprit tortueux se plaisait dans les projets et les intrigues : il aimait l’intrigue pour elle-même : il croyait par ce moyen pouvoir abréger le chemin de la fortune, sinon le chemin de la gloire. Il n’aspirait pas, il convoitait. Quoique placé dans une sphère sociale bien plus élevée que celle de Frank Hazeldean, il convoitait ce qui faisait de Frank Hazeldean son inférieur, sa gaieté désœuvrée, ses plaisirs insouciants, le gaspillage qu’il faisait de sa jeunesse. De même Randal aspirait moins à la réputation d’Audley Egerton, qu’il ne convoitait la fortune et le faste du ministre, ses dépenses princières et son magnifique hôtel de Grosvenor-Square. Ç’avait été le malheur de sa naissance d’être si près de ces deux fortunes : si près de celle de Leslie, comme chef futur de cette maison déchue ; si près de celle d’Hazeldean, puisque, ainsi que nous l’avons déjà vu, si le squire n’avait pas eu de fils, Randal eût été son héritier légal. La plupart des jeunes gens qui s’étaient trouvés en contact avec Audley Egerton avaient éprouvé pour lui sinon un sentiment très-affectueux, du moins un respect loyal et plein d’admiration. Car il y avait chez Egerton une sorte de grandeur qui imposait aux jeunes gens et les fascinait. Son courage plein de résolution, l’énergie de sa volonté, cette générosité quasi-royale qui contrastait avec la simplicité de ses goûts personnels, la séduction qu’il exerçait sans paraître s’en apercevoir sur les femmes les plus rassasiées d’hommages, l’empire qu’il obtenait sur les hommes les plus rebelles à tous les conseils, tous ces avantages contribuaient à donner à l’homme politique ce charme qui n’appartient d’ordinaire qu’à l’homme idéal. À la vérité Audley Egerton était un idéal, l’idéal de l’homme pratique, doué d’un sens incomparable, inspiré par une énergie inflexible et marchant vigoureusement vers un but net et bien défini. Sous un gouvernement dissolu et corrompu, sous une monarchie décrépite ou dans une république tarée, Audley Egerton eût été un dangereux citoyen : car son ambition était déterminée, il voyait clairement son but. Mais en Angleterre, dans la vie publique qui oblige à l’honneur l’homme réellement ambitieux, à moins que ses yeux ne voient trouble ou de travers comme ceux de Randal Leslie, c’est chose indispensable que d’être un gentleman, et Egerton était avant tout considéré comme tel. Sans le moindre orgueil sur tout autre sujet, doué de peu de sensibilité apparente, il était on ne peut plus fier et plus sensible sur ce qui touchait à son honneur de gentleman. Randal, en le voyant davantage, en observant son humeur avec les yeux de lynx d’un espion domestique, crut s’apercevoir que cet homme positif était sujet à des accès de mélancolie, et même de sombre tristesse ; et quoique ces accès ne durassent pas longtemps, il y avait dans sa froideur habituelle quelque chose de visiblement concentré : le souvenir de quelque douloureux mystère semblait vivre au fond de son âme. Un cœur affectueux et reconnaissant se serait intéressé à ce pénible état moral. Mais Randal ne chercha à le découvrir et à le connaître que pour en tirer parti au besoin. Car Randal Leslie haïssait Egerton : il le haïssait d’autant plus, que, malgré toute
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