juge de la physionomie, et celle de Léonard lui plut. Après un moment de silence, il lui tendit la main.
« Monsieur, dit-il, lord L’Estrange m’assure que vous voulez faire de la littérature votre profession et l’étudier comme un art. Je puis vous aider en cela et vous pouvez m’aider aussi. J’ai besoin d’un secrétaire, je vous offre cette place. Le salaire sera proportionné aux services que vous me rendrez. J’ai dans ma maison une chambre à votre disposition. Lorsque j’arrivai à Londres, je fis le même choix que vous. Je n’ai aucune raison, même comme homme du monde, de le regretter. Ma profession m’a acquis un revenu supérieur à mes besoins. Je dois mon succès à ces maximes qui peuvent s’appliquer à toute profession ; primo, ne jamais se fier au génie pour ce qui peut s’obtenir par le travail ; secundo, ne jamais vouloir enseigner aux autres ce que l’on n’a pas appris à comprendre soi-même ; tertio, ne jamais promettre de faire ce que nous n’avons pas l’intention d’exécuter.
« Avec cela, la littérature, pourvu qu’un homme ne se soit point mépris sur sa vocation, et qu’aidé d’avis salutaires, il se soumette à une discipline préliminaire, comme toutes les vocations l’exigent, la littérature est une profession tout aussi bonne qu’une autre. Sans l’observation de ces règles, le métier de décrotteur est mille fois préférable.
— C’est possible, murmura Harley, mais bon nombre de grands écrivains n’ont observé aucune de vos maximes.
— De grands écrivains, peut-être, mais leur sort n’a sans doute pas été digne d’envie. Milord, milord, ne corrompez pas l’élève que vous m’amenez. » Harley sourit, se retira et laissa le génie à l’école du bon sens et de l’expérience.
CHAPITRE XVII.
Pendant que Léonard Fairfield luttait obscurément contre la pauvreté, l’isolement, la faim et de terribles séductions, Randal Leslie débutait avec éclat dans la vie politique. À coup sûr, un jeune homme capable et ambitieux ne pouvait entrer dans le monde sous de plus favorables auspices : rien ne lui avait manqué ; il était le parent et le protégé avoué d’un homme d’État populaire et actif ; le brillant auteur d’un pamphlet politique qui lui avait acquis une importance personnelle ; il était accueilli et recherché dans des cercles dont ni le rang, ni la fortune ne suffisent à donner l’entrée ; les cercles du pouvoir placés au-dessus de la mode elle-même. Il lui était aisé d’apprendre de bonne heure à connaître le monde, par la conversation de ses maîtres reconnus ; Randal n’avait qu’à marcher