Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenait avec le médecin. Léonard, en rentrant dans sa chambre, vit parmi ses papiers la lettre qu’il avait écrite à M. Dale.

Je ne suis plus obligé de renoncer à ma vocation maintenant, je n’ai plus besoin de mendier, » dit-il en approchant de la bougie la lettre qu’il tenait à la main. Mais, tandis que le papier tombait en brûlant sur le plancher, la faim, la faim cruelle qu’il avait oubliée pendant toutes les émotions qui venaient de se succéder, vint de nouveau torturer ses entrailles. La faim, cependant, n « put triompher de ce cœur orgueilleux qui avait cédé à un sentiment plus noble ; il sourit et se répéta : « Non, je ne mendierai pas ; celle que j’avais juré de protéger est à l’abri du besoin. Je puis affronter en homme les coups du sort. »


CHAPITRE XVI.

Quelques jours après, Hélène, que l’on avait transportée au grand air, était, de l’avis des premiers médecins, tout à fait hors de danger. Elle était installée dans une jolie petite villa, isolée de toute habitation, dont les fenêtres avaient vue sur les bruyères sauvages de Norwood. Harley venait chaque jour à cheval juger des progrès que faisait la convalescence de sa jeune protégée : déjà sa vie avait un but ; à mesure qu’Hélène devenait plus forte et mieux portante, il réussissait plus aisément à la faire causer, et l’écoutait avec un plaisir mêlé de surprise. Ce cœur si naïf, si enfantin, et cette raison déjà formée le frappaient comme un rare contraste. Léonard, qu’il avait presque obligé à venir habiter aussi la villa, était resté volontiers sous le même toit qu’Hélène tant que celle-ci avait été en danger ; mais, aussitôt qu’il la vit en convalescence, il aborda lord L’Estrange, et lui dit :

« Maintenant, milord, qu’Hélène n’a plus besoin de moi, je ne puis plus abuser de vos bontés. Je vais retourner à Londres.

— Mais c’est une visite que vous me faites, insensé que vous êtes ! vous n’abusez pas de mes bontés, dit Harley, qui avait déjà deviné quel orgueil dictait l’adieu du jeune homme. Venez au jardin et causons. »

Harley s’assit sur un banc placé au milieu de la petite pelouse, Néron se coucha à ses pieds, et Léonard resta debout près de lui.

« Ainsi, dit lord L’Estrange, vous voulez retourner à Londres ? Et que voulez-vous y faire ?

— Accomplir ma destinée.

— Et quelle est cette destinée ?

— Je l’ignore. La destinée est une Isis dont aucun mortel ne peut soulever le voile.