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et que j’ai toujours été romanesque ; il faut que j’aime pour me marier ou que du moins je sente que ma femme est digne de tout l’amour que je puis donner. Quant à l’expression vague de gentleman employée par ma mère, expression qui a tant de sens différents, suivant les bouches qui le prononcent, j’avoue que j’ai un préjugé contre les jeunes personnes élevées dans ce que l’on appelle le monde à la mode, et c’est ainsi que sont élevées la plupart de nos filles de gentlemen. Je demande donc l’interprétation la plus large de cette expression, pourvu qu’il n’y ait rien de vil ni de sordide dans la naissance, les habitudes et l’éducation du père de ma future épouse. J’ai assez de confiance en vous deux pour croire que vous n’exigerez ni titre ni généalogie.

— Des titres ! assurément non, dit lady Lansmere ; ce ne sont pas les titres qui font le gentleman.

— Certainement non, dit le comte ; beaucoup de nos meilleures familles ne sont pas titrées.

— Des titres ! non, répéta lady Lansmere, mais des ancêtres, oui.

— Ah ! ma mère, dit Harley avec son triste et calme sourire, il est écrit que nous ne nous entendrons jamais. Le premier de notre race est toujours celui dont nous sommes le plus fiers. Et pourtant, dites-le moi, quels étaient ses ancêtres ? De la beauté, de la vertu, de la modestie et de l’intelligence, si tout cela ne constitue pas une noblesse suffisante pour un homme, il n’est que l’esclave des morts. »

En disant ces mots, Harley prit son chapeau et se dirigea vers la porte.

« Vous avez dit vous-même : « noblesse oblige, » dit la comtesse en le suivant jusque sur le seuil. Nous n’avons rien de plus à ajouter. »

Harley haussa légèrement les épaules, baisa sa mère au front, siffla Néron qui faisait un somme auprès de la fenêtre et s’en alla.


CHAPITRE XIV.

Harley passa sa journée à flâner de côté et d’autre, suivant son habitude ; il dîna dans son coin paisible à son club favori, pendant que Néron, qui n’y était pas admis, l’attendait patiemment à la porte. Le dîner terminé, homme et chien, également indifférents à la foule, descendirent tranquillement cette rue qui, pour ceux qui comprennent la poésie de Londres, a des souvenirs de gloire et de malheur aussi sublimes que ceux de n’importe quelles ruines des temps passés ; rue traversant ce qui était jadis la cour de Whitehall ; à sa gauche est la place qu’occupait le palais des Stuarts ; elle rejoint par un étroit passage cette vieille île de Thorney, dans laquelle Édouard le Confesseur