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moi que la duchesse n’aurait pas dû faire les premières ouvertures, même à un ami, à un parent.

— Nous sommes des gens à la vieille mode, dit le comte assez embarrassé, et la duchesse est une femme du monde.

— Espérons, dit la comtesse doucement, que sa fille ne l’est pas.

— Je n’épouserais pas lady Mary quand bien même toutes les autres femmes seraient métamorphosées en singes, répondit lord L’Estrange avec chaleur et résolution.

— Bonté divine ! s’écria le comte. Quel langage me tenez-vous là ? Et pourquoi cela, s’il vous plaît, monsieur ?…

Harley. Je ne saurais le dire… On ne peut pas donner de raisons en pareille matière. Mais, mon bon père, vous ne me tenez pas parole.

Lord Lansmere. Comment cela ?

Harley. Ma mère et vous vous m’avez engagé à me marier. J’ai promis de faire tout mon possible pour vous obéir, à une condition pourtant, c’est que je choisirais moi-même ma femme et que je prendrais mon temps pour cela. Et voilà Votre Seigneurie qui s’enflamme, et avant midi, à une heure où aucune femme ne pourrait, sans trembler, songer à sa parure et au doux parfum des fleurs d’oranger, Votre Seigneurie, dis-je, s’enflamme et condamne la pauvre lady Mary et votre indigne fils à exprimer une admiration mutuelle que nous n’avons jamais ressentie l’un pour l’autre. Pardonnez-moi, mon père, mais ceci est grave. Permettez-moi de vous rappeler votre promesse. Laissez-moi choisir librement et qu’il ne soit plus question de la guerre des deux Roses. Quelle guerre des deux Roses vaut celle qui se livre entre la candeur et l’amour sur la joue d’une jeune fille ?

Lady Lansmere. Choisissez librement, Harley, soit ; mais nous aussi nous avons mis à notre consentement une condition, n’est-il pas vrai, milord ?

Le comte. Certainement.

Harley. Quelle est cette condition ?

Lady Lansmere. Le fils de lord Lansmere ne peut épouser que la fille d’un gentleman.

Le comte. Bien entendu ! bien entendu ! »

Le beau visage d’Harley se colora soudain, puis pâlit.

Il se dirigea vers la fenêtre ; sa mère le suivit et posa de nouveau la main sur son épaule.

« Vous avez été cruelle, » dit-il doucement et à voix basse. Puis se tournant vers le comte qui le regardait étonné, car il n’était jamais venu à l’idée de lord Lansmere que son fils pût choisir une femme d’un rang inférieur à celui qu’avait modestement indiqué la comtesse, Harley lui tendit la main et lui dit de sa voix douce et séduisante : « Vous vous êtes toujours montré bon et indulgent envers moi, il est donc juste que je fasse le sacrifice de mon égoïsme pour satisfaire vos désirs. Comme vous, je comprends que notre race ne doit pas finir en moi : « noblesse oblige ; » mais vous savez que je suis