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pour elle les mêmes sentiments que moi s’il l’avait connue, s’il l’avait aimée ! Elle ne ressemblait à aucune des femmes que j’ai rencontrées dans la vie. Belle et glorieuse créature d’un autre monde ! Elle est descendue sur cette terre et l’a laissée en deuil quand elle en a disparu. C’est en vain qu’on lutte contre un pareil souvenir. Ma mère, j’ai fait preuve d’autant de courage qu’en ont jamais montré nos pères bardés de fer. J’ai bravé le danger sur le champ de bataille et dans les déserts, j’ai lutté contre l’homme et la bête sauvage, contre les tempêtes de l’Océan, contre les terribles forces de la nature, dangers aussi terribles que jamais pèlerin ou croisé se soit réjoui de braver. Mais du courage contre ce souvenir ! non, je n’en ai pas !

— Harley, Harley, vous me brisez le cœur ! s’écria la comtesse en joignant convulsivement les mains.

— C’est une chose singulière, continua Harley tellement absorbé par ses propres idées qu’il n’entendit peut-être pas l’exclamation de sa mère. Oui, vraiment, c’est une chose singulière que, parmi les milliers de femmes que j’ai vues et auxquelles j’ai parié, je n’aie jamais rencontré une figure qui ressemblât à la sienne ni entendu une voix aussi douce. »

La comtesse allait répondre lorsque la porte s’ouvrit et lord Lansmere entra.

Le comte avait quelques années de plus que sa femme, mais sa physionomie calme paraissait beaucoup moins fatiguée. On lisait sur ses traits la bienveillance et la bonté, et sinon une intelligence supérieure, au moins beaucoup de sens.

« Ah ! ah ! mon cher Harley, s’écria lord Lansmere en se frottant les mains d’un air de satisfaction, je viens précisément de faire une visite à la duchesse.

— Quelle duchesse, mon cher père ?

— Mais la cousine germaine de votre mère, la duchesse de Knaresborough, que vous avez daigné aller voir à ma prière, et je suis charmé d’apprendre que vous admirez lady Mary.

— C’est une grande dame ou plutôt c’est une dame qui a un grand nez, » répondit Harley. Puis, remarquant que sa mère paraissait mécontente et son père déconcerté, il ajouta d’un ton sérieux : « Mais c’est néanmoins une très-belle femme !

— Eh bien, Harley, dit le comte revenant de sa surprise, la duchesse, profitant de la parenté qui nous unit, pour parler franchement, m’a fait entendre que vous aviez également plu à lady Mary, et, pour en venir au fait, puisque vous accordez qu’il est temps de songer à vous marier, je vous dirai qu’il n’y a pas d’union qui me convînt davantage. Qu’en dites-vous, Catherine ?

— Le duc appartient à une famille qui prend rang dans nos annales avant la guerre des deux Roses, dit lady Lansmere répondant respectueusement à son mari. Dans l’histoire de cette famille on ne peut citer aucun fait scandaleux ; on ne saurait trouver de tache à son blason. Mais mon cher époux, j’en suis sûre, pensera comme