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sa frêle constitution. Léonard, vivement alarmé, alla chercher le pharmacien voisin. Celui-ci prit un air grave et dit qu’il y avait danger. Le danger ne tarda pas en effet à se manifester. Hélène eut le délire. Pendant plusieurs jours elle demeura entre la vie et la mort. Léonard sentit alors que tous les chagrins de la terre sont légers quand on les compare à la crainte de perdre un être aimé.

Grâce à ses soins et à sa tendre sollicitude, plutôt peut-être qu’à l’art du médecin, l’enfant finit par recouvrer la raison : tout danger immédiat était passé. Mais elle était très-faible et très-amaigrie ; il n’était pas sûr qu’on réussît à la sauver, et dans tous les cas la convalescence serait très-lente.

Hélène, lorsqu’elle apprit que sa maladie avait duré si longtemps, regarda d’un air inquiet Léonard qui s’était penché sur elle, et prononça ces mots d’une voix faible :

« Donnez-moi mon ouvrage. Je suis assez forte pour travailler maintenant. Cela me distraira. »

Léonard fondit en larmes.

Hélas ! il n’avait pas d’ouvrage lui-même ; tout leur argent était dépensé. Le pharmacien n’était pas comme le bon docteur Morgan ; il fallait payer les médicaments et le loyer. Deux jours auparavant, Léonard avait mis au mont-de-piété la montre de Riccabocca ; une fois que le dernier shilling ainsi obtenu serait dépensé, comment soutiendrait-il Hélène. Néanmoins, il dompta sa sensibilité, assura à sa sœur qu’il avait un emploi, et cela d’un ton si sérieux qu’elle le crut et retomba dans un doux assoupissement. Il écouta sa respiration, déposa un baiser sur son front et quitta la chambre. Il retourna dans la mansarde voisine, et, appuyant la tête sur ses mains, il recueillit toutes ses pensées.

Ainsi donc, il lui fallait mendier. Il lui fallait écrire à M. Dale pour avoir de l’argent ; à M. Dale encore, qui connaissait le secret de sa naissance. S’il eût été seul, il eût préféré mourir lentement de faim plutôt que de s’humilier ainsi. Mais Hélène était là, gisant sur son lit de douleur ; Hélène allait manquer de tout. Il n’y avait donc pas à reculer, il fallait mendier. Quand il eut pris sa résolution, si vous eussiez pu voir quelle victoire il avait remportée sur son âme aigrie par l’orgueil, vous auriez dit : « Ce qu’il prend pour de l’humiliation c’est de l’héroïsme » Oh ! étrange chose que le cœur humain ! Il n’y a pas de poème épique qui atteigne au sublime et à la beauté de ce livre mystérieux. Il ne pouvait écrire qu’à M. Dale. Sa mère n’avait rien ; Riccabocca était pauvre et la fière Violante qui s’était écriée : « Je voudrais être homme ! » le mépriserait. Les Avenel ? Oh ! non, mille fois non. Il écrivit rapidement quelques lignes comme arrachées à son cœur.

Mais l’heure de la poste était passée. La lettre devait attendre le lendemain pour partir et trois jours au moins s’écouleraient avant qu’il pût recevoir de réponse. Il laissa la lettre sur la table et, se sentant presque asphyxié, il sortit pour prendre l’air. Il traversa le pont ; il marcha devant lui, et fut porté par la foule compacte,