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signée et tranquille ; ses doigts agiles se mouvaient sans relâche. Ses joues étaient pâles et creusées, ses mains amaigries ! Léonard fut profondément ému, et en ce moment il oublia ses désappointements de poète : il n’eut pas une seule pensée d’égoïsme.

Il s’approcha doucement de l’enfant et lui posant la main sur l’épaule : « Hélène, dit-il, mettez votre châle et votre chapeau ; allons faire un tour de promenade. J’ai beaucoup de choses à vous dire. »

Ils se dirigèrent bientôt vers leur endroit favori, le pont de Westminster.

« Hélène, dit Léonard, il faut nous séparer.

— Nous séparer ! Oh ! mon frère !

— Écoutez-moi. Je n’ai plus de travail. Je ne puis revenir au village et dire à tout le monde : Mes espérances n’étaient que de la présomption, et mon intelligence une illusion. Non, cela n’est pas possible. Je ne puis me faire domestique ou crocheteur dans cette sordide cité. J’étais né peut-être pour ces occupations ; malheureusement, mon esprit m’a élevé au-dessus de ma condition. Que vais-je faire maintenant ? Je ne le sais pas encore ! Servir comme soldat ou me diriger comme émigrant vers quelque lointain désert. Quelle que soit ma décision, il faut que je sois seul. Je n’ai plus d’asile, mais j’en ai un à vous offrir, Hélène, bien humble, sans doute, pour vous qui êtes la fille d’un gentleman, mais du moins vous y serez en sûreté… c’est le cottage de ma mère. Elle vous aimera pour moi, et… et… »

Hélène s’attacha à lui en tremblant et sanglotant : « Oh ! non ! non, Léonard ! s’écria-t-elle. Je puis travailler, je puis gagner de l’argent. J’en gagnerai assez pour vous et pour moi, jusqu’à ce que vous soyez plus heureux. Ne nous quittons pas !

— Moi ! Hélène ! moi, un homme né pour travailler, vous voulez que je doive ma subsistance à une enfant ! »

Elle recula en voyant son front rougir, baissa timidement la tête et murmura le mot : Pardon.

« Ah ! reprit-elle après un moment de silence, que je voudrais donc retrouver l’ami de mon pauvre père !

— Oui, il vous viendrait en aide.

— À moi ! » répéta Hélène avec un accent de doux reproche ; et elle se détourna pour cacher ses larmes.

« Vous le rappelleriez-vous si nous venions par hasard à le rencontrer.

— Oh ! oui ! il ressemblait si peu à tous ceux que nous voyons dans cette terrible ville ; ses yeux étaient limpides et brillants comme des étoiles ; et son chien… qu’il appelait Néron…, je ne l’ai pas oublié non plus.

— Son chien n’est peut-être pas toujours avec lui.

— Oui, mais ses yeux limpides, il les a toujours. »

Ils marchèrent longtemps en silence : la foule passait à côté d’eux sans les remarquer. La nuit se faisait plus noire sur le fleuve : mais