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CHAPITRE X.

Miss Starke était une de ces personnes qui passent leur vie dans la plus terrible des luttes de la vie civile : je veux parler de la guerre contre les domestiques. Elle considérait les membres de cette classe comme les ennemis nés des malheureuses ménagères qui sont obligées de les employer. Miss Starke était du reste fort malheureuse. Elle n’avait ni parents ni amis qui s’intéressassent assez à elle pour partager les combats qu’elle livrait à ses ennemis intérieurs ; son revenu, quoique assez rond, devait s’éteindre avec elle : aussi ses neveux, nièces et cousins se renfermaient, en présence de ces luttes, dans les limites d’une stricte neutralité. La pauvre demoiselle avait donc pris le parti d’élever quelque jeune fille dont le cœur, comme elle le disait, fût encore neuf et pur ; dont elle pût attendre de la reconnaissance. En somme, Hélène l’avait satisfaite, et son intention était de garder cette jeune fille chez elle tant qu’elle vivrait : encore une trentaine d’années, peut-être, et, l’ayant soigneusement préservée du mariage et de toute autre affection, de ne lui rien laisser que le regret d’avoir perdu une aussi généreuse bienfaitrice. Dans cette intention, voulant s’assurer l’affection de l’enfant, miss Starke s’était un peu relâchée de la froide sévérité de son maintien et s’était montrée bonne à l’égard d’Hélène, autant que le lui permettait sa nature rigide. Elle avait consenti à lui laisser voir Léonard, conformément à la demande de M. Morgan, et avait déboursé dix sous pour lui acheter des gâteaux lors de leur première entrevue. Elle se croyait, en retour de pareilles bontés, tous les droits possibles sur la personne et l’âme d’Hélène ; aussi, quelle fut son indignation, lorsqu’un beau matin, en se levant, elle vit que la jeune fille avait disparu ! Comme l’idée ne lui était pas venue de demander l’adresse de Léonard, quoiqu’elle soupçonnât Hélène d’être allée le rejoindre, elle ne savait que faire, et, pendant vingt-quatre heures, elle demeura plongée dans le plus profond abattement. Mais le regret d’avoir perdu cette enfant lui rendit toute son énergie, et elle se persuada que le plus simple sentiment de bienveillance lui faisait un devoir d’arracher à l’abîme du monde une pauvre enfant qui en ignorait les dangers. Elle fit donc publier dans le Times une annonce dont les termes ressemblaient à ceux qu’elle avait employés plusieurs années auparavant pour recouvrer une chienne favorite.

« Deux guinées de récompense. A été perdue une jeune fille d’Ivy-Cottage ; elle répond au nom d’Hélène ; yeux bleus, cheveux bruns,