lement, au dîner, Burley prit la bouteille d’eau-de-vie et l’acheva ; mais il n’appela pas Jacob et essaya d’écrire.
Le troisième jour la pluie ne cessa de tomber.
« N’avez-vous point de livres, madame Goodyer ? demanda le pauvre Burley.
— Oh ! oui, j’en ai quelques-uns que la chère dame a laissés ; et aussi peut-être ne seriez-vous pas fâché de lire quelques feuilles écrites de sa main ?
— Non, non pas les feuilles ; toutes les femmes griffonnent, et elles griffonnent toutes de même. Donnez-moi les livres. »
Les livres furent apportés. C’étaient des poésies, des essais : John les savait par cœur. Il regarda tomber la pluie ; mais le soir, la pluie ayant cessé, il sauta sur son chapeau et s’élança dehors.
« Nature, nature ! s’écria-t-il quand il fut en plein air et qu’il se trouva au milieu des haies toutes dégouttantes d’eau, tu ne seras pas l’objet de mes adulations. Je t’ai honteusement méprisée, je le confesse ; tu es une femme, et par conséquent tu ne pardonnes pas. Je ne me plains pas ; tu es peut-être la plus jolie compagne que j’aie jamais rencontrée, mais aussi la plus stupide et la plus ennuyeuse. Dieu merci, nous ne sommes pas mariés ensemble ! »
Ce fut dans ces dispositions que John Burley rentra à Londres. Il s’arrêta au premier cabaret, en sortit avec un air ragaillardi, et continua sa promenade jusqu’à ce qu’il se trouvât dans Leicester-Square. Tandis qu’il regarde les étrangers qui se promènent dans ce quartier, tout en fredonnant un air, deux personnages, sortis d’une ruelle, semblent suivre la trace de ses pas insouciants ; il enfile une série de passages du côté de Saint-Martin, et, flairant d’avance une orgie à mesure qu’il approche de son théâtre favori, il fait sonner l’argent dans ses poches : les deux personnages qui le guettent sont derrière lui.
« Salut à toi, ô liberté ! murmure John Burley ; ta demeure est dans les cités, ton palais est une taverne.
— Au nom du roi ! » dit une voix rude ; et John Burley sent sur son épaule une main avec laquelle il a déjà fait connaissance.
Les deux gardes, qui le suivaient, ont saisi leur proie.
« À la requête de qui ? demande Burley.
— De M. Cox, le marchand de vin.
— De Cox ! Un homme à qui j’ai donné un bon sur mon banquier il n’y a pas trois mois.
— Mais ce bon n’a pas été payé.
— Qu’est-ce que cela fait ? l’intention était la même. L’intention est réputée pour le fait. Cox est un monstre d’ingratitude, et je lui retire ma pratique.
— Vous aurez bien raison. Votre Honneur veut-il un fiacre ?
— Je préfère dépenser mon argent à autre chose. Tenez, donnez-moi le bras ; je ne suis pas fier. Après tout, grâce au ciel, je ne coucherai pas à la campagne. »