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de son enfance. Quand il s’arrêta, il était devant la porte d’une petite maison solitaire au milieu des champs, avec une petite ferme par derrière ; au loin, à travers les arbres, on apercevait les sinuosités de la Brent.

Le cottage était habité par un vieux ménage que Burley connaissait depuis longtemps. C’était là qu’il déposait ordinairement ses perches et ses lignes ; c’était là que pendant les intervalles de sa vie bruyante, il séjournait parfois deux ou trois jours, s’imaginant le premier jour qu’il était dans le paradis, et convaincu le troisième que c’était un enfer.

Une vieille femme, d’un extérieur propre et avenant, vint le recevoir.

« Ah ! monsieur John, dit-elle en serrant l’une contre l’autre ses mains décharnées ; la campagne est agréable en ce moment ; j’espère que vous voilà venu pour quelque temps ? cela vous fera du bien ; vous avez perdu vos belles couleurs d’autrefois dans la ville de Londres.

— Oui, je resterai près de vous, ma bonne dame, dit Burley avec une douceur inaccoutumée ; puis-je avoir mon ancienne chambre ?

— Oh ! oui, venez la voir. Je ne l’ai jamais donnée à personne depuis que la chère belle jeune fille aux yeux d’ange est partie. Pauvre enfant, que peut-elle être devenue ? »

En parlant ainsi, l’hôtesse entraînait Burley, qui ne l’écoutait pas, et le conduisit au premier étage de la maison, vers une chambre meublée avec goût et même avec élégance. Un petit piano était placé en face de la cheminée, la fenêtre avait vue sur de belles prairies entourées de haies touffues, et sur les capricieux détours de la petite rivière aux eaux transparentes. Burley, épuisé, se laissa tomber sur un siège, et regarda tout pensif par la fenêtre.

« Vous n’avez pas déjeuné ? dit l’hôtesse avec sollicitude.

— Non.

— Eh bien ! j’ai des œufs tout frais, et une tranche de jambon qui ne vous déplaira sans doute pas, monsieur John ? Si vous voulez de l’eau-de-vie dans votre thé, j’ai encore celle que vous avez laissée il y a longtemps dans votre bouteille. »

Burley secoua la tête. « Pas d’eau-de-vie, mistress Goodyer ; donnez-moi seulement du lait. »

Ce jour-là, Burley sortit avec sa ligne, et il se mit à pêcher, toujours dans l’espoir d’attraper sa perche borgne, mais ce fut en vain. Alors il erra le long de la rivière, les mains dans ses poches, en sifflant. Il revint à la maisonnette au coucher du soleil, prit sa part du repas qu’on loi avait préparé, s’abstint d’eau-de-vie, et se sentit fort abattu. Il demanda une plume, de l’encre et du papier, et voulut écrire, mais il ne put achever deux lignes. Il appela Mme Goodyer.

« Dites à votre mari de venir causer un peu avec moi. »

Le vieux Jacob Goodyer monta, et l’homme d’esprit le pria de lui raconter toutes les nouvelles du village. Jacob obéit de grand cœur, et à la fin Burley s’endormit. Le lendemain se passa de même ; seu-