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petite fille que j’ai vue avec Léonard sur les bords de la Brent, et vous êtes revenue vivre avec lui. Vous serez notre petite ménagère, et je vous raconterai l’histoire du prince Charmant, et beaucoup d’autres qu’on ne trouve pas dans les contes de la Mère l’Oie. En attendant, ma mignonne, voici six sous, courez bien vite m’acheter un verre de rhum.

Hélène (se rapprochant lentement de M. Burley et le regardant sérieusement en face). Ah ! monsieur, Léonard dit que vous avez un bon cœur, que vous l’avez aidé, qu’il ne peut pas vous dire de quitter cette maison… et moi, qui ne l’ai jamais aidé, je vais partir pour aller vivre toute seule.

Burley (touché). Vous en aller, ma petite amie ? Et pourquoi cela ? Ne pourrions-nous pas vivre tous trois ensemble ?

Hélène. Non, monsieur. J’ai tout quitté pour venir trouver Léonard ; car nous nous sommes rencontrés pour la première fois au tombeau de mon père. Maintenant vous me l’enlevez, et je n’ai pas d’autre ami sur la terre.

Burley (décontenancé). Expliquez-vous. Pourquoi faut-il que vous le quittiez parce que je suis là ? »

Hélène adresse de nouveau à M. Burley un long et triste regard, mais elle ne répond pas.

Burley (embarrassé). Est-ce parce qu’il croit que je ne suis pas une bonne société pour vous ? »

Hélène baissa la tête.

Burley tressaillit, mais dit après un moment de silence :

« Il a raison. >

Hélène, obéissant à l’impulsion de son cœur, s’élança vers Burley et lui prit la main.

« Ah ! monsieur, s’écria-t-elle, avant qu’il vous connût il était si différent ! Il était gai alors… même quand il éprouva un premier désappointement ; j’étais triste, je pleurais ; mais je sentais qu’il en triompherait, car son cœur était bon et pur. Oh ! monsieur, ne croyez pas que je veuille vous faire des reproches… mais que deviendra-t-il, si… si… Ce n’est pas pour moi que je parle ; mais je sais que si j’étais ici, s’il m’avait près de lui, il rentrerait de bonne heure, il travaillerait avec résignation… enfin je sens que je le sauverais. Mais quand je ne serai plus ici et que vous demeurerez avec lui…. vous pour qui il se sent de la reconnaissance, vous à qui il cède contre la voix de sa conscience (vous devez vous en apercevoir, monsieur), que deviendra-t-il ? »

La voix d’Hélène s’éteignit dans les sanglots.

Burley fit trois ou quatre grandes enjambées dans la chambre ; il était en proie à la plus vive agitation.

« Je suis un démon, murmura-t-il ; je ne m’en étais jamais aperçu auparavant, mais c’est vrai ! Je finirais par causer la ruine de ce jeune homme ! »

Des larmes mouillèrent ses yeux ; puis il s’arrêta tout à coup, et, prenant son chapeau, se dirigea du côté de la porte.