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petite raie blanche autour des trous. Le milieu fut enjolivé et couvert d’ornements gracieux : ce fut le plus gai de tous les édifices publics du village, qui cependant n’en possédait pas moins de trois autres dus au génie des Hazeldean, les Vitruve de l’endroit : le bureau de bienfaisance, l’école et la pompe de la paroisse.

Jamais paire de ceps plus élégante, plus engageante, plus coquette ne réjouit le regard d’une justice de paix.

L’œil du squire Hazeldean fut satisfait : dans l’orgueil de son cœur, il conduisit toute sa famille voir les ceps. La famille du squire, en omettant son frère de loin, se composait de mistress Hazeldean, sa femme, puis de miss Jemima Hazeldean, sa cousine germaine, troisièmement de M. Francis Hazeldean, son fils unique, et quatrièmement du capitaine Barnabé Higginbotham, parent éloigné qui, à strictement parler, n’était pas de la famille, mais un simple visiteur pendant dix mois de l’année. Mistress Hazeldean était le type véritable d’une dame de paroisse. Sur sa physionomie aimable, fraîche, et quelque peu hâlée par le soleil, se lisait une expression de majesté et de bienveillance. Ses yeux bleus attiraient l’affection et son nez aquilin commandait le respect. Mistress Hazeldean n’affectait pas les grands airs, ne cherchait pas à paraître plus grande, plus belle, plus capable qu’elle n’était : elle connaissait sa valeur, son rang et en remerciait le ciel. Il y avait dans ses paroles, dans ses manières quelque chose du laconisme et de la franchise hardie qui souvent caractérisent la royauté ; car si la châtelaine d’une paroisse n’est pas reine dans son petit cercle, ce n’est jamais la faute de la paroisse. Mistress Hazeldean remplissait son rôle dans la perfection ; elle portait des vêtements de soie, qui semblaient venir de ses ancêtres, tant ils étaient épais, solides et imposants. Et par-dessus ces vêtements quand elle était dans son domaine, elle avait le plus blanc des tabliers ; à son côté ne se voyait pas l’inutile châtelaine avec de niaises breloques, mais une honnête montre d’or qui lui indiquait l’heure et une longue paire de ciseaux pour couper les feuilles mortes de ses fleurs ; car elle était grande jardinière, quand l’occasion s’en présentait ; cependant, mistress Hazeldean savait échanger ses vêtements les plus somptueux et les plus princiers contre un solide habit de chasse de drap bleu et caracoler aux côtés de son mari pour voir les chiens se lancer. Bien plus, quand M. Hazeldean conduisait sa légère carriole au marché de la ville, il était rare de ne pas voir sa femme au côté gauche de la voiture : elle se souciait aussi peu que son mari du vent et de la pluie, et au milieu d’une violente bourrasque, on aurait pu voir son aimable figure s’élever au-dessus du long collet de sa grossière houppelande et s’épanouir en frais sourires, comme une belle rose, qui ouvre ses pétales à la pluie et se réjouit à la fraîcheur. Il était facile de voir que le digne couple s’était marié par amour : ils se séparaient aussi peu que possible et maintenant encore, aux premiers jours de septembre, si la maison n’était pas pleine de monde qui réclamait sa présence, mistress Hazeldean traversait les champs aux côtés de son mari d’un pas aussi léger, d’un