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que la postérité le croirait. Et il serait mort de faim, je présume, avant que d’écrire Rasselas pour la Ruche. Le besoin est une grande chose, continua le jeune homme, d’un air pensif, c’est la source de grandes choses. La Nécessité est forte et nous communique sa force ! Mais le besoin devrait briser les murailles de notre prison et ne pas se contenter de la ration que la geôle nous alloue en échange de notre travail.

— Il n’y a pas de prison pour un homme qui fait appel à Bacchus. Attendez ; je vais vous traduire le Dithyrambe de Schiller. « Alors je vois Bacchus, alors viennent Cupidon et Phébus, et les hôtes célestes remplissent ma demeure, etc., etc. »

Burley, improvisant aussitôt des rimes capricieuses, donna à Léonard une traduction grossière mais animée de cet hymne divin.

« Ô matérialiste ! s’écria le jeune homme, dont les yeux étincelaient ; Schiller prie les dieux de l’élever jusqu’à eux, et vous voudriez, vous, qu’ils s’abaissassent jusqu’à descendre dans une taverne !

— Oh ! oh ! s’écria Burley, avec son rire homérique. Buvez, et vous comprendrez le Dithyrambe. »


CHAPITRE XXX.

Un matin, pendant que Léonard était chez Burley, un élégant cabriolet, attelé d’un fort beau cheval, s’arrêta soudain devant la maison. On frappa à la porte un coup assez fort, puis des pas rapides se firent entendre dans l’escalier, et Randal Leslie entra. Léonard le reconnut et tressaillit. Randal le regarda d’un air surpris, puis avec un tact témoignant qu’il avait déjà su profiter de la vie de Londres, après avoir serré la main à Burley, il s’approcha de Léonard et lui dit d’un ton de voix assez dégagé : « À moins que je ne me trompe, monsieur, ce n’est pas la première fois que nous nous voyons. Si vous vous souvenez de moi, j’espère que vous avez oublié notre querelle. »

Léonard s’inclina, et il avait encore si bon cœur que ces paroles suffirent à l’adoucir.

« Où donc avez-vous pu vous rencontrer ? demanda Burley.

— Sur une place de village, en combat singulier, » répondit Randal en souriant. Et il raconta l’histoire de la bataille des ceps, avec quelques plaisanteries de bon goût sur le rôle qu’il y avait joué. Cette histoire fit rire Burley. « Mais, dit-il, mon jeune ami aurait mieux fait, je crois, de continuer à être gardien des ceps de son village que de venir à Londres pour y chercher fortune au fond d’un encrier.