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Burley disparut dans un bureau noir et obscur proche de Fleet Street, sur lequel étaient inscrits ces mots : « Bureau de la Ruche. »

Il en ressortit bientôt avec un souverain dans la main ; c’était le premier salaire de Léonard. Celui-ci crut voir le Pérou devant lui. Il accompagna M. Burley dans son logement de Maida-Hill, et, quoique le trajet fût long, ne se sentit pas fatigué. Lorsqu’ils furent arrivés au domicile de Burley, que celui-ci eut envoyé chercher le dîner, qui fut payé sur le souverain, Léonard sentit renaître sa fierté et, pour la première fois depuis bien des semaines, il se mit à rire de tout son cœur. Les deux écrivains devinrent de plus en plus intimes, de plus en plus affectueux l’un pour l’autre.

Léonard, pendant plusieurs jours, vécut presque complètement chez Burley. Il écrivait continuellement, excepté quand la conversation magique de Burley l’entraînait à la paresse ; et encore, n’était-ce pas de la paresse, ses connaissances s’étendaient en écoutant, mais le cynisme de cet homme opérait lentement son travail démoralisateur, ce cynisme qui ne connaît ni la foi, ni l’espérance, ni le souffle vivifiant de la gloire, de la religion. Le cynisme de l’épicurien plus dégradé dans son étable que ne le fut Diogène dans son tonneau. Et toutes ces idées étaient présentées avec une telle facilité, une si vive éloquence, une ignorance si entière de son avilissement !

Étrange et terrible philosophie ! qui se fait une maxime de gaspiller follement les dons de l’esprit en glorifiant la matière, d’habituer l’âme à ne vivre qu’au jour le jour et à dire dédaigneusement : « Qu’importe l’immortalité ! »


CHAPITRE IV.

Odieuse cette triste Ruche ! Sans doute, on y gagnait son pain ; mais la réputation, mais l’espérance de l’avenir ; tout cela était hors de question. Le Paradis perdu de Milton eût péri sans bruit, s’il avait paru dans la Ruche.

Elle publiait de jolis morceaux, à l’état de fragments, et composés par Burley lui-même. Au bout d’une semaine, ils étaient morts et oubliés ; ils n’étaient jamais lus par un seul homme de goût ; on les englobait indifféremment entre des articles de politique superficielle et de mauvais essais : cela se vendait à vingt ou trente mille exemplaires… peut-être… débit immense… et de tous ces travaux on ne pouvait retirer que du pain et de l’eau-de-vie !

« Que vous faut-il de plus ? s’écriait John Burley. L’austère Samuel Johnson ne disait-il pas qu’il ne pouvait écrire que lorsqu’il était pressé par le besoin ?

— Il a pu dire cela, répondit Léonard, mais il n’a jamais pensé