exorbitant ! Je n’ai plus besoin de vos services. Je transporterai ces livres chez moi. Vous aurez la bonté de m’envoyer le catalogue de ceux que vous avez achetés et de me faire connaître vos dépenses de voyage. Ce qui vous est dû vous sera envoyé à votre domicile. Bonsoir. »
Léonard rentra chez lui frappé et consterné de la mort subite de son bon maître. Il ne pensa pas beaucoup à lui-même, ce soir-là ; mais le lendemain, quand il se leva, il sentit tout à coup que Londres, cet immense univers, s’ouvrait devant lui sans un ami, sans un emploi au moyen duquel il pût gagner son pain.
Cette fois, ce n’était plus un chagrin de l’imagination, le désillusionnement d’un rêve poétique. Devant lui se présentait, décharnée et palpable, la faim dans toute son horreur.
S’en aller, oui !… retourner au village, rentrer dans la chaumière de sa mère, dans le jardin de l’exilé, retrouver ses radis et sa fontaine. Pourquoi ne le pouvait-il pas ? Demandez pourquoi la civilisation ne peut se soustraire à ses maux et revenir à l’état sauvage et au wigwam.
Léonard n’aurait pas pu revenir à la chaumière, lors même que la faim, qui était en face de lui, l’eût eu déjà saisi de sa main de squelette. Londres ne lâche pas si facilement ses victimes.
CHAPITRE II.
Un jour trois messieurs se tenaient devant la vieille échoppe d’un bouquiniste, située dans un passage qui conduisait d’Oxford-Street à Tottenham Court Road ; deux d’entre eux étaient des gentlemen, le troisième appartenait à cette classe de gens qui flânent habituellement le long des étalages de libraires.
« Tenez, dit l’un des gentlemen à l’autre, j’ai découvert ici ce que je cherchais inutilement depuis dix ans : l’Horace de 1580, l’Horace aux quarante commentateurs, un trésor complet d’érudition, qui n’est coté que quatorze shillings.
— Chut ! Norreys, dit l’autre ; regardez quelque chose de plus remarquable encore. »
Et il indiqua du doigt le troisième personnage, dont la figure fine et amaigrie était penchée avec l’attention d’un homme absorbé et pour ainsi dire affamé sur un vieux volume rongé des vers.
« Quel est ce livre, milord ? » demanda tout bas Norreys.
Son compagnon sourit, et lui répondit par une autre question :
« Quel est l’homme qui lit ce livre ? »
M. Norreys avança de quelques pas et regarda par-dessus l’épaule du lecteur. Il revint vers son ami en disant :