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critiquait quelque écrivain plus heureux que lui, son style quoique satirique avait de la bienveillance ; il ne montrait ni sel ni jalousie. Comme homme indépendant et étranger à toute malveillance à l’égard des personnes, il pouvait servir de modèle à tous les critiques. Il avait pour l’indépendance une passion qui, quoique poussée à l’excès, n’était pas sans grandeur. Il n’était ni parasite ni flagorneur ; il ne recherchait ni les protections ni les souscriptions. Quand il fut mis en prison pour dettes, quoiqu’il sût qu’une seule ligne adressée à Egerton pouvait le faire mettre en liberté, il ne consentit jamais à écrire cette ligne. Ne voulant dépendre que de sa plume, il se hâtait de la tremper dans l’encre et griffonnait selon sa fantaisie. Son vice le plus abject était certainement l’incorrigible habitude de boire qu’il avait contractée, et, ce qui en est la conséquence naturelle, la fréquentation de la mauvaise compagnie. Si ce roi des bohèmes étonnait par sa licencieuse gaieté et quelquefois même exaltait par son éloquence pleine d’imagination ces rudes et grossières natures qui se groupaient autour de lui, une pareille royauté exigeait en retour qu’il sacrifiât toute dignité, mais il n’eût pas échangé son bonnet de fou contre un diadème impérial. En effet, pour apprécier convenablement les talents de John Burley, il fallait l’entendre parler dans de semblables occasions. Comme écrivain, on pouvait lui reprocher quelques écarts, quelques volte-faces inattendues ; mais, comme orateur, il était sans égal en son genre. Le talent de la parole est un des plus dangereux qu’un homme puisse posséder ; les applaudissements arrivent si vite et demandent si peu de peine ! John Burley tomba chaque jour de plus en plus bas, non-seulement dans l’opinion de ceux qui connaissaient son nom, mais encore dans l’exercice habituel de ses facultés. Il en vint à mieux aimer écrire pour quelques pence dans un journal du peuple non autorisé qu’à gagner des livres sterling en écrivant dans des journaux marquants. Il se plaisait à griffonner des ballades à un sou et à s’arrêter dans la rue pour les entendre chanter. John Burley était un pittiste, non un tory, comme il avait coutume de dire. Si vous l’aviez entendu parler de Pitt, vous auriez été fort embarrassé de savoir que penser de ce grand homme. Il traitait Pitt comme les commentateurs allemands traitent Shakespeare, et lui prêtait toutes sortes d’intentions et de projets imaginaires qui eussent fait du grand politique une sibylle.

Le lecteur peut maintenant, nous l’espérons, se faire une assez juste idée de John Burley ; c’est un échantillon d’une espèce qui n’est pas très-commune à toutes les époques, et qui heureusement est presque éteinte aujourd’hui que les auteurs, à tous les degrés, ont participé à cette amélioration générale, à ces idées d’ordre, d’économie et de décence, qui ont prévalu dans les mœurs nationales. Quoique M. Prickett ne fût pas entré dans d’aussi grands détails biographiques sur John Burley, cependant, il avait donné à Léonard des notions suffisantes sur cet homme singulier.

Néanmoins Léonard ne comprit pas combien M. Burley était cou-