Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/302

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séjour dans l’école comme sons-maître, M. Burley avait fait connaissance avec l’éditeur du journal de la localité et avait écrit pour lui des articles politiques. L’éditeur lui donna des lettres pour les journalistes de Londres ; John vint dans la capitale et fut employé dans un journal recommandable. Il avait connu à l’Université Audley Egerton ; ce gentleman commençait alors à se faire un nom au parlement. Burley partageait l’opinion d’Audley Egerton sur une certaine question. Il écrivit sur ce sujet un fort bon article, un article si bien fait qu’Egerton en demanda l’auteur, apprit que c’était Burley, et se promit, s’il arrivait au ministère, de tâcher de lui être utile. Mais Burley était un homme pour lequel il était impossible de faire quelque chose. Il cessa bientôt ses relations avec le journal. D’abord, il était si irrégulier qu’on ne pouvait compter sur lui ; puis il avait de si singuliers caprices d’esprit, tant d’excentricité, que ses idées, à cause de leur inconstance même, finissaient par déplaire à tous les partis. Un de ses articles, qu’on avait inséré sans y faire attention, avait terrifié tous les propriétaires, l’état-major des lecteurs du journal. Cet article était diamétralement opposé aux principes arborés par cette feuille, et comparait à Catilina son principal rédacteur politique. C’est alors que John Burley s’enferma et écrivit des livres. Il écrivit deux ou trois ouvrages fort bien faits, mais qui n’étaient pas en rapport avec le goût populaire. Ces ouvrages lui valurent néanmoins quelque argent et une certaine réputation parmi les gens de lettres. Enfin Audley Egerton arriva au pouvoir et lui procura, quoique avec beaucoup de difficulté, une place dans un ministère. Je dis avec beaucoup de difficulté, car de nombreux préjugés s’élevaient contre cet enfant perdu des Muses. Il occupa cette place un mois, puis la quitta volontairement. Une croûte de pain et ma liberté, dit John Burley, et il disparut dans un grenier. Depuis ce moment jusqu’à l’époque où nous sommes, Dieu sait comment il vécut. La littérature est un travail comme un autre, et John Burley devint de plus en plus incapable de travail. Il ne pouvait pas, disait-il, être à la tâche et il ne se mettait à écrire que lorsque le caprice lui en venait, ou bien lorsqu’il n’avait plus un penny au fond de sa bourse, ou enfin lorsqu’il se trouvait écroué à la prison pour dettes, ce qui lui arrivait, en terme moyen, deux fois par an. Il vendait généralement ce qu’il écrivait, mais on ne lui faisait jamais d’avances. Audley Egerton continua d’être son protecteur, parce que sur certaines questions se rattachant à la politique abstraite, c’est-à-dire à des lois de réforme et d’économie, il n’avait pas trouvé de plume plus vigoureuse que la sienne. Audley Egerton était le seul homme pour lequel Burley abandonnât son verre et consentît à se mettre à la tâche, car il était reconnaissant par nature, et il sentait qu’Egerton avait réellement essayé de lui être utile. Après sa première équipée, le ministre lui avait offert une place à la Jamaïque ou dans l’Inde, mais Burley s’était refusé à quitter Londres. Malgré les défauts graves de son caractère et de sa conduite, il avait les qualités d’une nature généreuse. S’il était l’ennemi déclaré de ses propres intérêts, on ne pouvait dire du moins qu’il fût l’ennemi de personne. Même quand il