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et toutes deux avaient quitté la ville le lendemain du jour où lord L’Estrange et M. Egerton avaient quitté le parc de Lansmere.

Quelque grande qu’eût été la satisfaction du squire, comme agent électoral et comme frère, en apprenant le triomphe de M. Egerton, cette satisfaction se trouva bien diminuée lorsqu’en sortant du repas donné en l’honneur de la victoire, au restaurant des Armes de Lansmere, et au moment où tout tranquillement il allait entrer dans la voiture qui devait le conduire à la demeure de Sa Seigneurie, une lettre fut placée dans ses mains par un des gentlemen qui avaient accompagné le capitaine sur le théâtre de la lutte. Le contenu de cette lettre et les quelques mots que lui glissa à l’oreille le porteur du billet, ramenèrent le squire à Mme Hazeldean, beaucoup plus calme qu’elle n’avait osé l’espérer. Le fait est que le jour de la nomination, le capitaine ayant honoré M. Hazeldean de plusieurs épithètes poétiques et figurées, telles que : gros bœuf, vampire, suceur de sang, bassinoire fraternelle, le squire avait répondu à ces facéties en l’appelant hareng saur ; le capitaine, comme tous les satiristes, était extrêmement susceptible et, ayant l’épiderme délicat, n’avait pu se résigner à s’entendre appeler hareng saur par un bœuf gras, un vampire, un suceur de sang.

La lettre remise à M. Hazeldean, par un gentleman qui, natif de l’île Sœur, avait été jugé le messager le plus convenable pour une affaire où il s’agissait de la mort d’un frère, ne contenait rien moins qu’un cartel : le porteur de la présente avec la délicate politesse qu’exige l’étiquette dans ces rencontres homicides et comme il faut, donna l’idée de fixer le lieu du rendez-vous dans le voisinage de Londres, afin d’écarter les soupçons des autorités de Lansmere.

Certains peuples, les belliqueux Français en particulier, se font un jeu de la grave et cérémonieuse opération qu’on appelle duel. Tandis qu’il n’y a rien au monde qu’un Anglais véritable abhorre davantage que le sang-froid et l’étiquette qui accompagnent toutes les circonstances d’un combat singulier. Le duel n’est pas dans la manière de voir habituelle de l’Anglais ; il préfère recourir à la loi, procédé qui est de beaucoup le plus meurtrier des deux. Cependant, s’il faut qu’un Anglais se batte, il se bat. Il dit que c’est insensé ; il est convaincu que c’est ce qu’il y a au monde de plus anti-chrétien ; il approuve tout ce que la philosophie, la chaire, la presse ont débité sur ce sujet, n’importe : il fait son testament, dit sa prière, et se rend sur le terrain… comme un païen.

Aussi le squire ne voulut-il pas trop se mettre en évidence en cette fâcheuse circonstance. Le lendemain, sous prétexte d’assister à une vente de chevaux de chasse au Tattersall, il se dirigea tristement vers Londres, après avoir pris congé de sa femme avec une certaine émotion. Notre squire était bien convaincu qu’il ne reviendrait chez lui que dans un cercueil. Il va de soi, se dit-il à lui-même, que celui qui a été payé par le gouvernement pour tuer les gens, depuis le jour où il était un gamin en veste d’aspirant de marine, doit tuer son homme à coup sûr. Cependant le squire, après avoir mis ordre à ses