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les voix du bourg de Lansmere et pour pérorer du haut des fenêtres, le squire Hazeldean aurait été un député beaucoup plus populaire qu’Audley Egerton lui-même.

Le squire, interpellé et pressé de tous côtés, commença par dire avec une brusque franchise : « Je suis disposé à tout pour servir mon frère, mais je n’aime pas à me présenter, même par procuration, comme le protégé d’un lord ; et de plus, si je dois répondre pour Audley, je promettrai et jurerai en son nom d’être fidèle à l’intérêt territorial. Puis-je affirmer qu’Audley, une fois entré à la chambre, ne l’oubliera pas ? et si jamais pareil malheur arrivait, William Hazeldean passerait donc pour un imposteur et un renégat ! »

Mais ces scrupules furent étouffés par les arguments des gentlemen et par les instances des dames qui prenaient à l’élection le puissant intérêt que ces douces créatures prennent habituellement à tous les sujets de lutte et de discussion ; le squire consentit donc enfin à se présenter comme adversaire de l’homme de Baker-street ; et il mena alors l’affaire avec tout l’entrain et l’enthousiasme qu’il savait mettre au service des causes qu’il avait une fois embrassées.

L’opinion qu’on s’était formée de ses talents pour une élection populaire fut pleinement justifiée. Il dit autant de sottises que le capitaine Dashmore sur tous les sujets, excepté sur celui de l’intérêt territorial.

Là, il se montra vraiment supérieur, car il connaissait le sujet à fond : il le connaissait comme homme pratique dont le bon sens faisait justice de ces brillantes théories, légères comme une toile d’araignée et fugitives comme un rayon de la lune.

Les électeurs campagnards dont bon nombre étant de petits yeomen s’étaient jusque là enorgueillis de leur indépendance et mis du parti contraire au lord, ne pouvaient voter contre un homme en tout point l’ami du fermier. Ils commencèrent à embrasser les intérêts du comte contre l’homme de Baker-street. De grands gaillards, aux jambes plus grosses que le petit corps du capitaine Dashmore, avec des fouets à la main, furent bientôt aperçus dans les tavernes, intimidant les électeurs, comme le disait le capitaine avec indignation.

Ces nouvelles recrues apportèrent une grande différence sur la liste des Lansmere et quand le jour de l’élection arriva, le résultat devint un sujet de paris. Au dernier moment, après un combat acharné, M. Audley Egerton l’emporta sur le capitaine de deux voix. Les noms de ces deux derniers votants étaient John Avenel, bourgeois indépendant, et son beau-fils Mark Fairfield, de l’opposition, qui, yeoman de Lansmere, s’était établi à Hazeldean, où il avait obtenu la place de maître charpentier dans les domaines du squire.

Ces votes étaient inespérés, car bien que Mark Fairfield fût venu à Lansmere pour soutenir le frère du squire, quoique les Avenel eussent été de tout temps les zélés défenseurs des Lansmere, un malheur cruel, dont je me garderai bien d’attrister le lecteur au commencement de cette histoire, était venu fondre sur ces deux personnes,