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retirer dans la sienne ; là, elle s’agenouilla et adressa à Dieu cette prière : « Défendez-moi contre mon égoïsme, et ne permettes pas que je devienne un fardeau pour celui qui m’a protégée. » Peut-être le Créateur, lorsqu’il abaisse ses regards sur cette terre, n’y voit-il rien de plus beau que le cœur pur d’une enfant simple et aimante.


CHAPITRE L.

Léonard sortit le lendemain chargé de ses précieux manuscrits. Il avait lu assez d’ouvrages modernes pour connaître les noms des principaux éditeurs de Londres. C’est de leur côté qu’il se dirigea d’un pas ferme, quoique le cœur tremblant.

Ce jour-là, il demeura dehors plus longtemps que la veille, et quand il revint et qu’il rentra dans sa petite chambre, Hélène poussa un cri : car elle le reconnaissait à peine ; sur le visage sombre et taciturne du jeune homme, se lisait un désespoir amer et concentré. Il s’assit avec insouciance ; il n’embrassa pas Hélène lorsqu’elle s’avança doucement vers lui. Il se sentait humilié comme un roi dépossédé, lui, se charger d’une autre existence !

À force de caresses Hélène parvint enfin à lui faire raconter l’histoire de sa journée. Le lecteur sait trop bien d’avance ce qu’elle avait dû être, pour qu’il soit nécessaire d’entrer dans de longs détails. La plupart des éditeurs avaient absolument refusé de regarder les manuscrits du jeune homme ; un ou deux avaient été assez bons pour y jeter un coup d’œil et les lui avaient rendus immédiatement, exprimant par une ou deux paroles polies, un refus banal. Un seul, homme de lettres lui-même, qui, dans sa jeunesse, avait goûté à la coupe amère des illusions, dont était menacé le jeune paysan, lui donna des explications et des conseils avec bienveillance, quoique avec sévérité. Ce gentleman lut une partie du poème principal de Léonard avec attention et même avec une admiration sincère. Il sut apprécier tout ce que promettait un pareil talent. Il s’intéressa à l’histoire du jeune homme et s’associa même à ses espérances, puis il ajouta en le congédiant :

« Si je publiais ce poème pour vous, je perdrais considérablement ; je parle au point de vue commercial. Si je publiais tout ce que j’admire, je serais un homme ruiné. Mais supposez qu’obéissant au sentiment d’admiration que font naître en moi des dons poétiques peu communs, je publiasse votre poème, non comme commerçant, mais comme ami de la littérature, je craindrais vraiment de vous rendre un fort mauvais service et de vous mettre pour toute votre vie dans l’impossibilité de faire les efforts nécessaires pour acquérir l’indé-