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Egerton s’entendait à produire et à faire valoir un jeune homme, talent fort rare qui lui avait valu la popularité dont il jouissait parmi les membres nouveaux de son parti.

Les invités se retirèrent de bonne heure.

« Il est temps d’aller à Almack, dit Egerton à Leslie en regardant la pendule. J’ai un parrain pour vous ; venez. »

Randal monta en voiture avec son patron. En route, Egerton lui dit :

« Je vais vous présenter aux principaux personnages du grand monde, faites connaissance avec eux et étudiez-les ; je ne vous conseille pas de tenter davantage, c’est-à-dire de chercher à devenir un homme à la mode ; c’est une ambition qui coûte fort cher ; elle a servi quelques hommes, mais elle en a ruiné bien davantage. Vous avez mieux à faire. Dansez ou ne dansez pas, comme il vous plaira, mais ne coquetez pas, sans quoi on demandera quelle est votre fortune, question qui ne peut vous être que désavantageuse, et puis cela entraîne un jeune homme au mariage, ce qui n’est point votre affaire en ce moment. Nous voici arrivés. »

Deux minutes après, ils entrèrent dans la grande salle de bal, où Randal fut ébloui par les lumières, les diamants et l’éclat de mille beautés réunies. Audley le présenta rapidement à une douzaine de dames, puis disparut dans la foule. Randal ne fut point embarrassé ; il n’était pas timide, ou du moins s’il avait cette infirmité qui paralyse, il savait la cacher. Il répondit aux questions languissantes qui lui étaient adressées avec une vivacité qui soutenait la conversation et faisait concevoir de son esprit une opinion très-favorable. Mais la personne auprès de laquelle il eut le plus de succès fut une femme qui n’avait pas de filles à marier, une femme du monde fort jolie et fort spirituelle, lady Frédéric Coniers.

« Est-ce la première fois que vous venez à Almack, monsieur Leslie ?

— La première fois.

— Ne vous êtes-vous pas assuré une danseuse ? Voulez-vous que je vous en trouve une ? Que pensez-vous de cette gentille demoiselle en rose ?

— Je la vois… mais je ne puis penser à elle.

— Vous êtes peut-être comme un diplomate entrant dans une cour nouvelle, et vous cherchez à savoir avant tout à qui vous avez affaire.

— J’avoue qu’en commençant l’étude de mon temps, j’aimerais à en distinguer tout d’abord les figures les plus marquantes.

— Donnez-moi le bras, et nous irons dans la pièce voisine. Nous y verrons entrer les différentes notabilités une à une, et nous observerons sans être observés. C’est le moins que je puisse faire pour un ami de M. Egerton.

— Ainsi donc M. Egerton, dit Randal, a eu l’heureuse fortune de conquérir vos bonnes grâces, même pour ses amis, quelque obscurs qu’ils soient ?