Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/271

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Harley parut satisfait, car la question était ironique, et s’il y avait au monde une chose qu’il abhorrât, c’était la flatterie.

« Rappelez-vous votre Lucrèce, M. Leslie, le suave mare, etc., etc. Il est agréable de voir du haut du rocher les matelots ballottés sur l’océan. Vraiment, je crois que cette vue doit réconcilier l’homme avec le rocher bien qu’auparavant il ait pu être ennuyé des éclaboussures de l’écume et abasourdi par les cris des goélands ; mais je vous quitte, Audley. Il est singulier que je n’aie plus entendu parler de mon officier. Rappelez-vous votre promesse, quand je viendrai la réclamer. Adieu, monsieur Leslie, j’espère que l’article de Burley sera digne du billet de banque. »

Lord L’Estrange remonta sur son cheval, qui était resté à la porte, et traversa le parc. Mais il n’était plus inconnu aux promeneurs ; tous lui souriaient et le saluaient à l’envi.

« Hélas ! se dit-il, je suis découvert maintenant. Cette terrible duchesse de Knaresborough… Me voilà réduit à fuir mon pays ! »


CHAPITRE XLVII.

« M. Leslie, dit M. Egerton, quand Harley eut quitté le cabinet, Vous n’avez pas agi avec votre discrétion habituelle en parlant devant une tierce personne de sujets liés à la politique.

— Je le sens maintenant, monsieur. Ma seule excuse, c’est que je croyais lord L’Estrange votre ami intime.

— Un homme public, M. Leslie, servirait mal son pays s’il n’était pas surtout réservé avec ses amis intimes… quand ils n’appartiennent pas à son parti.

— Excusez mon ignorance ; lord Lansmere est si connu pour l’un de vos soutiens que j’ai dû croire que son fils partageait ses opinions, et avait votre confiance. »

Le front d’Egerton se plissa légèrement, et donna une expression sévère à son visage toujours ferme et décidé. Il répondit néanmoins d’un ton doux :

« À son entrée dans la vie politique, monsieur Leslie, il n’y a rien dont un jeune homme de votre mérite doive plus se méfier que de ses propres sentiments ; ils le trompent presque toujours. Et je crois que c’est là l’une des raisons qui font que souvent les jeunes gens de talent désappointent leurs amis et restent longtemps sans emploi. »

La rougeur du ressentiment colora un instant le visage de Randal, mais cette rougeur disparut promptement ; il s’inclina en silence.

Egerton reprit comme pour s’expliquer, pour s’excuser même :

« Voyez lord L’Estrange lui-même. Un jeune homme pouvait-il entrer dans la vie sous de plus brillants auspices ? Rang, fortune,