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dans le vôtre, Audley, parcourir le champ de vos pensées et de vos sensations ! Il faut vraiment que je parle de cela à ce magnétiseur français.

Audley (qui ne paraît goûter que médiocrement l’idée de voir ses pensées et ses émotions connues même d’un ami, et ne fût-ce qu’en imagination). Voyons, Harley, parlez donc en homme sensé !

Harley. Pauvre Audley, comme je l’ennuie !… Voyons, je vais tâcher de causer raison pour vous obliger. Et d’abord… (Ici Harley se releva sur son coude), d’abord est-il vrai que vous fassiez la cour à la sœur de cet infâme traître italien ?

Mme di Negra ? non, je ne lui fais pas la cour, répondit Audley avec un froid sourire. Mais elle est fort belle ; elle est fort instruite ; elle m’est utile… je n’ai pas besoin de dire en quoi et comment, cela concerne mon métier d’homme politique. Mais si vous me permettiez de vous donner un conseil, je pense qu’il me serait facile d’obtenir de son frère, grâce à mon influence sur elle, quelque concession honorable pour votre exilé. Elle désire beaucoup savoir où il est.

— Vous ne le lui avez pas dit ?

— Non. Je vous ai promis de garder ce secret.

— N’y manquez pas, car ce n’a peut être que pour lui tendre un piège qu’elle désire connaître sa demeure. Des concessions ! allons donc ! mais il s’agit de droits et non de concessions !

— Vous devriez laisser votre ami juge de la question.

— Eh bien, je lui écrirai. En attendant, prenez garde à cette femme, j’ai beaucoup entendu parler d’elle à l’étranger : elle est aussi fausse que son frère et…

— Aussi belle, interrompit Audley, donnant adroitement un autre tour à la conversation. On m’a dit que le comte est un des plus beaux hommes de l’Europe, qu’il est plus beau même que sa sœur, quoiqu’il ait près du double de son âge. Allons donc… Harley, ne craignez rien pour moi. Je ne suis plus sensible aux amorces des femmes. Mon cœur est mort.

— Non, non, ce n’est pas à vous de parler ainsi, c’est bon pour moi. Et encore ne le dirai-je pas, le cœur ne meurt jamais. Et vous…. qu’avez-vous perdu ? votre femme, c’est vrai, une femme excellente, au cœur noble et généreux. Mais était-ce bien de l’amour que vous ressentiez pour elle ?… Ô homme digne d’envie, avez-vous jamais aimé ?…

— Peut-être que non, Harley, dit Audley d’une voix émue et le visage sombre. Bien peu d’hommes ont aimé, du moins comme vous l’entendez. Mais d’autres passions que l’amour peuvent briser le cœur. »

Pendant qu’Egerton parlait, lord L’Estrange se détourna la poitrine oppressée. Il y eut un court moment de silence : Audley le rompit le premier.

« En partant de ma femme, je regrette que vous n’approuviez pas ce que j’ai fait pour son jeune parent, Randal Leslie.