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reuse ignorance, avait paru si certain de retrouver le lord ou quelque autre protecteur influent pour l’enfant ; il avait parlé de ses espérances avec tant de feu et tant de bonne foi, sans pourtant dire de quelle nature elles étaient, qu’eût-il été le plus vil imposteur il ne s’y fût pas mieux pris pour gagner la confiance du campagnard. Tandis que la maîtresse du logis s’imaginait follement que tous les gens comme il faut devaient se connaître à Londres, comme cela arrive à la campagne, l’aubergiste croyait qu’un jeune homme si bien mis, qui parlait avec tant de confiance et qui se chargeait si volontiers d’une jeune enfant qui serait un embarras pour lui s’il n’était sûr de pouvoir s’en débarrasser, devait avoir des amis plus âgés et plus sages que lui qui décideraient du meilleur parti à prendre dans l’intérêt de l’orpheline. Que pouvait d’ailleurs faire l’aubergiste ? Cela ne valait-il pas mieux que de la laisser errer de paroisse en paroisse pour être enfin abandonnée dans les rues de Londres ? Hélène sourit quand on lui demanda ce qu’elle désirait : c’était la première fois qu’on la voyait sourire. Elle mit de nouveau sa main dans celle de Léonard. Enfin, son départ avec le jeune homme fut décidé.

La jeune fille fit un paquet des objets auxquels elle tenait le plus et dont elle avait le plus besoin. Léonard plaça ce paquet dans son sac et ne s’aperçut guère que son fardeau en fût devenu plus lourd ; l’hôtesse enverrait le reste des effets à Londres quand léonard aurait écrit et envoyé son adresse, ce qu’il promettait de faire bientôt.

Hélène fit une dernière visite au cimetière, puis elle vint rejoindre son compagnon, qui l’attendait sur la route en dehors de la funèbre enceinte. Lorsqu’ils eurent marché pendant quelques heures, Léonard lui demanda si elle était fatiguée. « Non, » répondit-elle. Mais Léonard, à sa considération, ne voulut pas faire de trop longues marches, et il leur fallut plusieurs jours pour gagner Londres. Voyageant ainsi tous les deux seuls pendant longtemps, ils finirent par se lier si étroitement qu’à la fin du second jour ils s’appelaient mon frère et ma sœur ; et Léonard, à sa grande satisfaction, s’aperçut que la jeune fille, tout en restant profondément triste et complètement insensible aux impressions extérieures, malgré le mouvement physique et la variété du paysage, faisait preuve d’une intelligence bien au-dessus de son âge. Pauvre enfant ! La nécessité avait accéléré chez elle la maturité de l’esprit. Elle comprenait les consolations morales que lui prodiguait Léonard, consolations demi-poétiques et demi-religieuses. Elle prêtait l’oreille au récit qu’il lui faisait de sa propre existence, de l’éducation qu’il s’était lui-même donnée, des luttes solitaires qu’il avait soutenues ; ces luttes-là, elle les comprenait aussi, la noble enfant ! Mais quand Léonard faisait éclater son enthousiasme et parlait de ses glorieuses espérances et de sa confiance dans l’avenir qui s’ouvrait devant eux, elle secouait la tête d’un air de douce mélancolie. Comprenait-elle toutes ces espérances ? Hélas ! elle ne les comprenait que trop peut-être. Elle en savait plus que Léonard sur les réalités de la vie. Léonard s’était d’abord chargé de la dépense commune ; mais avant la fin de