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— Je vais à Londres, et je finirai bien par le trouver.

— Ah ! monsieur, vous m’avez l’air d’être bien bon ! Puisque vous allez à Londres (que ferions-nous ici de la pauvre enfant, elle est trop faible pour le service), mais puisque vous allez à Londres, je voudrais bien qu’elle partît avec vous.

— Avec moi ! dit Léonard étonné. Avec moi ! mais c’est vrai, pourquoi pas ?

— Je suis certaine qu’elle est de bonne famille, monsieur ; on pouvait être sûr que son père était un parfait gentleman, rien qu’à le voir mourir. Il est parti de cette terre avec tant de politesse, un ton si affectueux ! il avait l’air tout confus de nous donner tant de peine ; c’était un gentleman, s’il en fut jamais. Vous aussi, monsieur, vous êtes un gentleman, j’en suis sûre, dit la dame en faisant la révérence. Je m’y connais, allez ! J’ai été femme de charge dans une des premières familles de ce comté, monsieur, si je ne puis pas dire que j’ai servi à Londres ; et, comme les gens bien nés se connaissent généralement entre eux, je ne doute pas que vous ne finissiez par découvrir les parents de la pauvre enfant. Oui, mon ami, j’y vais, j’y vais ! »

De grands cris appelaient l’hôtesse, qui se hâta de redescendre. Les fermiers et les conducteurs de bestiaux s’apprêtaient à partir ; il fallait faire leurs notes et recevoir leur argent. Léonard ne revit plus l’hôtesse de la soirée. On entendit les derniers hourras, et quelques toasts portés probablement aux membres du comté. Et la chambre de douleur qui avoisinait celle de Léonard retentit du bruit qui se faisait en bas. Mais le silence succéda peu à peu à ces cris discordants. Les charrettes et les cabriolets s’éloignèrent. On entendit alors comme un bruit sourd indiquant qu’on fermait les portes, puis un léger bourdonnement et les pas de gens qui montaient se coucher.

À la fin, le silence le plus complet régna partout. En ce moment, l’horloge de l’église sonna onze heures.

Léonard, pendant ce temps, passait en revue ses manuscrits. C’était d’abord un projet de perfectionnement de machine à vapeur, projet qu’il avait depuis longtemps dans la tête et dont les essais dataient des premières notions de mécanique qu’il avait recueillies dans les traités du chaudronnier. Il mit le manuscrit de côté, car il lui aurait fallu un trop grand effort de réflexion pour l’examiner de nouveau.

Il regarda avec moins de précipitation une collection d’essais sur différentes matières ; quelques-uns lui parurent insignifiants, d’autres lui semblèrent bons. Il demeura longtemps fixé sur des cahiers de vers, écrits de sa plus belle main, vers qui lui avaient été inspirés par les mélancoliques souvenirs de Nora.

Le cœur rempli d’enthousiasme et de généreuse ardeur, il s’élançait en imagination vers la grande cité, où viennent aboutir tous les fleuves de la renommée.

Il serra ses papiers et ouvrit la fenêtre, suivant son habitude, avant