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faut pas qu’on vous voie fuir de chez moi maintenant. Gardez-la ici, serpent que vous êtes, gardez-la jusqu’à mon retour. Alors si vous voulez partir, partez, et que… »

Sans achever sa phrase, Avenel s’élança hors de la chambre, en ferma la porte à double tour et mit la clef dans sa poche. Il s’arrêta un moment dans le vestibule pour se remettre un peu, poussa deux ou trois profonds soupirs, se secoua violemment et résolu de rester fidèle à son principe de ne faire qu’une chose à la fois, il secoua en même temps tout souvenir de ses captifs mutinés. Ferme comme Achille… lorsqu’il apparut aux Troyens, Richard Avenel descendit vers la pelouse.


CHAPITRE XXXVII.

Si courte qu’eût été son absence, l’hôte put s’apercevoir que dans l’intervalle il s’était opéré un grand et notable changement dans les dispositions de ses invités. La plupart de ceux qui demeuraient à la ville se préparaient évidemment à retourner chez eux à pied ; ceux qui demeuraient loin et dont les voitures renvoyées ayant reçu l’ordre de les venir chercher à une heure fixée, qui n’était pas encore arrivée, se rassemblaient en petits groupes : tous avaient l’air triste et mécontent ; et quand l’hôte passa chacun se détournait instinctivement. Ils sentaient qu’ils avaient reçu une leçon ; ils étaient encore plus décontenancés que Richard lui-même. Ils ne savaient pas ; ils se demandaient s’ils n’allaient pas en recevoir une autre. Cet homme vulgaire n’était-il pas capable de tout !

Richard, avec sa pénétration habituelle, comprit immédiatement toutes les difficultés de la situation : mais il s’avança résolûment vers mistress M’Catchley, qui se trouvait près de la grande tente avec les Pompley et la femme du doyen. Lorsque ces personnages le virent se diriger vers eux, il y eut un murmure.

« Au diable soit l’homme, dit le colonel, se rengorgeant dans sa cravate : le voici qui vient à nous. C’est un affreux scandale ; qu’allons-nous faire ? éloignons-nous. »

Mais Richard s’arrangea de façon à leur couper la retraite.

« Mistress M’Catchley, dit-il gravement en offrant son bras à cette dame, j’ai deux mots à vous dire, s’il vous plaît. »

La pauvre veuve fut tout embarrassée. Mistress Pompley la tira par la manche. Richard la regardant toujours fixement, tendait la main. Elle hésita un instant puis enfin accepta son bras.

« Quelle impudence ! s’écria le colonel.

— Laissez faire mistress M’Catchley, mon cher, dit mistress Pompley, elle saura mieux que personne lui donner une leçon.