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d’affronter la rencontre et il continua hardiment son chemin. Malheureusement, avant qu’il put mettre le pied sur la grande route, le propriétaire du terrain, M. Avenel, car c’était lui-même qui avait aperçu le délinquant et l’avait appelé à lui en lui adressant un : « Ohé, là-bas ! mon gaillard ! » avec toute la dignité d’un homme qui possède de nombreux arpents de terre, et en même temps toute la colère d’un propriétaire qui les voit impudemment envahis.

Le chaudronnier s’arrêta, et M. Avenel s’avança vers lui.

« Que diable faites-vous là, caché derrière ma haie ? Je vous soupçonne d’être un incendiaire !

— Je suis chaudronnier, » répondit Sprott, sans baisser le ton (il était publicain), mais au contraire dans l’attitude d’un seigneur de la création.

M. Avenel se sentit aux doigts une vive démangeaison de faire sauter le mauvais chapeau du chaudronnier de dessus sa tête de jacobin, mais il réprima un mouvement si contraire à sa dignité, en enfonçant ses deux mains dans les poches de son pantalon.

« Chaudronnier ! s’écria-t-il, c’est-à-dire vagabond. Je suis magistrat, et j’ai grande envie de vous envoyer au tread-mill. Que faites-vous ici, s’il vous plaît ? Vous n’avez pas répondu à ma question.

— Ce que je fais ici ? dit Sprott. Pourquoi n’avez-vous pas demandé de renseignements sur moi à ce jeune monsieur qui vous parlait tout à l’heure. Il me connaît bien, lui !

— Comment ! mon neveu vous connaît ?

— Qu’est-ce que vous dites, fit le chaudronnier en sifflant, c’est votre neveu. J’ai un grand respect pour votre famille. Je connais cette bonne mistress Fairfield, la blanchisseuse, depuis bien des années. Je vous demande humblement pardon. » Et cette fois il ôta son chapeau.

M. Avenel rougit et pâlit tour à tour. Il grommela quelques mots, qu’on ne put entendre, tourna sur ses talons et s’éloigna à grands pas. Le chaudronnier l’observa comme il avait observé Léonard, et suivit l’oncle comme il avait suivi le neveu. La nuit qui succéda au jour où Richard avait appelé Sprott incendiaire, ses meules furent brûlées ; était-ce le résultat d’une vengeance, c’est ce que je n’oserais prononcer ; en tout cas, ce fut une coïncidence singulière. Sprott était très-fier, et n’oubliait pas aisément une insulte, il était d’une nature aussi inflammable que les allumettes chimiques qu’il portait toujours sur lui, avec ses brochures et ses pots de colle.

Le lendemain on fit des recherches pour trouver le chaudronnier, mais il avait quitté le pays.