Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagne nous nous inclinons devant nos supérieurs de la ville. Qu’auriez-vous ordonné ? Peut-être auriez-vous tenté une saignée.

Le docteur Morgan (s’abandonnant à son patois du pays de Galles, ce qu’il ne fait jamais que dans ses moments d’impatience). Bonté du ciel ! me prenez-vous pour un boucher ! pour un bourreau ? Jamais ! jamais !

Le docteur Dosewell. Je ne pense pas non plus que cela soit bon quand les deux poumons sont perdus. Mais peut-être êtes-vous pour les aspirations ?

Le docteur Morgan. Sornettes ! balivernes !

Le docteur Dosewell (d’un ton de mécontentement). Que conseilleriez-vous, alors, pour prolonger la vie de votre patient un mois ?

Le docteur Morgan. Je lui donnerais du rhus !

Le docteur Dosewell. Du rhus, monsieur, du rhus ! Je ne connais pas cela.

Le docteur Morgan. Du rhus toxicodendron. »

La longueur de ce dernier mot inspira un certain respect au docteur Dosewell. Un mot de cinq syllabes… c’était imposant ! Il salua avec déférence, mais d’un air encore assez vexé. À la fin il dit en riant franchement : « Vous autres grands médecins de Londres, vous employez tant de nouveaux médicaments. Oserai-je vous demander ce que c’est que le rhus toxico… toxico….

— Dendron.

— Oui, qu’est-ce ?

— Le jus de l’upas, vulgairement appelé l’arbre à poison. »

Le docteur Dosewell fit un bond.

« L’upas… l’arbre à poison… les petits oiseaux qui viennent s’abriter sous son ombre tombent morts. Vous donnez le jus de l’upas dans ces cas désespérés et à quelle dose ? »

Le docteur Morgan fit une grimace pleine de malice et montra un globule de la grosseur d’une tête d’épingle.

Le docteur Dosewell recula avec dégoût.

« Oh ! dit-il froidement, et prenant aussitôt une pose d’orgueilleuse supériorité, je suis apparemment en présence d’un homœopathe, monsieur ?

— D’un homœopathe.

— Hum !

— Hum !

— Étrange système ! docteur Morgan, dit le docteur Dosewell en recouvrant son aimable sourire, mais avec un certain ton de mépris. Un système qui ruinerait bientôt tous les droguistes.

— Ils le méritent bien. Les droguistes eux ont bientôt ruiné les malades.

— Monsieur !

— Monsieur !

Le docteur Dosewell (avec dignité). Vous ignorez peut-être, docteur Morgan, que je suis pharmacien en même temps que mé-