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— Laisse, mon enfant, monsieur est dans son droit, dit M. Digby, et saluant avec sa douceur habituelle, il ajouta : excusez-la, monsieur, elle se préoccupe trop de moi. »

Le voyageur se tut, et Hélène se blottit contre son père, cherchant à le préserver du froid.

Le voyageur s’agitait avec inquiétude. « Sans doute, dit-il avec une espèce de ronflement, l’air est une chose importante et je suis dans mon droit ; mais… » et néanmoins il ferma la portière. Hélène se tourna du côté du voyageur avec une physionomie pleine de reconnaissance.

« Vous êtes bien bon, monsieur, dit le pauvre M. Digby, je suis honteux de… »

Un accès de toux l’empêcha d’en dire davantage.

Le voyageur, qui était un homme corpulent et sanguin, parut sur le point d’étouffer, mais il ôta son cache-nez, son manteau, et renonça héroïquement à l’oxygène.

Il s’approcha du malade et lui tâtant le pouls :

« Vous avez la fièvre, je crois, monsieur. Je suis un homme de l’art. Chut ! un, deux… que diable, vous ne devriez pas voyager, vous n’êtes pas en état de voyager. »

M. Digby secoua la tête ; il était trop faible pour répondre. Le voyageur fourra une de ses mains dans la poche de son manteau et en retira un objet qu’on pouvait prendre pour un porte-cigares, mais qui, de fait, était un petit nécessaire en peau de chagrin, contenant différentes fioles. De l’une de ces fioles, il tira deux globules microscopiques.

« Voyons, dit-il, ouvrez la bouche. Posez cela sur le bout de votre langue, ça calmera votre pouls, abattra la fièvre. Vous allez être mieux maintenant ; mais il ne faudrait pas voyager ; vous avez besoin de repos ; il faut rester au lit. De l’aconit… de la jusquiame…. Hum ! votre papa est d’une faible constitution, caractère timide — probablement horreur du travail ?

— Monsieur ! fit Hélène, effrayée, se demandant si cet homme n’était pas un magicien.

— En ce cas il faut prendre du phosphore, s’écria le voyageur. Cet imbécile de Browne aurait dit de l’arsenic. Ne vous laissez pas persuader de prendre de l’arsenic.

— De l’arsenic, monsieur ? répéta Digby, de sa voix douce. Non, non… quelque malheureux que soit un homme, je crois, monsieur, que le suicide est toujours un acte hautement criminel.

— Le suicide ? dit le voyageur tranquillement. Vous n’avez aucun symptôme de ce genre, dites-vous ?

— Non, grâce au ciel, monsieur.

— Si jamais vous vous sentiez un violent désir de vous asphyxier, prenez de la pulsatille ; si, au contraire, vous vous sentiez une disposition à vous brûler la cervelle avec accompagnement de pesanteur dans les jambes, de perte d’appétit, et d’une toux sèche, prenez du sulfure d’antimoine. N’oubliez pas cela. »