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Elle s’élança au-devant de son père lorsqu’il entra. Son père était toute sa joie.

« Il nous faut retourner à Londres, dit M. Digby se laissant tomber sans force sur une chaise. Puis avec son sourire maladif, il dit en s’adressant doucement à sa fille : Voudrais-tu demander quand part la première voiture ? »

Il ne se faisait rien dans la triste existence de ces deux êtres dont le soin ne fût remis à cette douce enfant. Elle embrassa son père, plaça devant lui un sirop adoucissant qu’il avait apporté de Londres, et sortit silencieusement pour prendre les renseignements nécessaires.

À huit heures du soir le père et l’enfant étaient assis dans la diligence en compagnie d’un autre voyageur emmitouflé jusqu’au menton. Après le premier mille celui-ci baissa une des glaces de la voiture. Quoiqu’on fût en été l’air était vif et pénétrant ; Digby frissonna et toussa.

Hélène mit la main sur la portière et se penchant vers le voyageur elle lui parla tout bas.

« Comment, dit le voyageur, fermer la glace ! Vous avez la vôtre, celle-ci est la mienne. L’oxygène, mademoiselle, ajouta-t-il avec solennité, l’oxygène est le souffle de la vie. Que diable, mon enfant, continua-t-il d’un ton de colère concentrée et avec l’accent du pays de Galles, que diable, laissez-nous respirer et vivre. »

Hélène effrayée recula.

Son père qui n’avait pas entendu, ni remarqué l’entretien, s’enfonça dans un coin, releva le collet de son habit et toussa de nouveau.

« Il fait froid, mon enfant, » dit-il d’une voix languissante à Hélène.

Le voyageur entendit le mot et il répondit avec indignation, mais comme se parlant à lui-même :

« Il fait froid ! Je crois que les Anglais sont les gens les plus frileux du monde. Voyez-les dans leurs grands lits, tous les rideaux tirés, volets fermés, paravent à la cheminée ; pas une maison où il y ait un ventilateur ; il fait froid !… »

La glace voisine de M. Digby ne fermait pas bien.

« Il y a un terrible courant d’air, » dit celui-ci.

Hélène s’empressa aussitôt de boucher les fentes de la fenêtre avec son mouchoir. M. Digby regardait tristement l’autre portière. Son regard éloquent ne fit qu’exciter davantage la bile du voyageur.

« Voilà qui est plaisant, dit-il ; que diable ! Je crois que vous allez me demander de sortir tout-à-l’heure. Les gens qui voyagent en voiture devraient connaître les règlements. Je ne me mêle pas de votre glace, vous n’avez pas à vous mêler de la mienne.

— Mais, monsieur, Je ne vous ai rien dit, fit humblement M. Digby.

— Vous ! non, mais mademoiselle.

— Ah ! monsieur, dit Hélène avec tristesse, si vous saviez combien papa souffre ! Et sa main se posait de nouveau sur la portière.