Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/225

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort de son père, avec quatre mille livres et une complète incapacité de dire : non. Sans être prodigue, il ignorait totalement la valeur de l’argent ; c’était l’homme le plus facile à vivre, le plus comme il faut, le plus bienveillant qu’on eût jamais vu. Il lui arriva à cette époque ce qui arrive à bien des gens : pauvre, il voulut vivre comme les riches et mener le même train qu’eux ; de là les dettes, puis le recours aux usuriers, des billets souscrits, quelquefois pour d’autres, avec intérêt de vingt pour cent : les quatre mille livres fondirent comme la neige au soleil : appel pathétique à des parents ; mais les parents ont leurs enfants ; quelques petits secours donnés à contrecœur, assaisonnés de beaucoup de conseils et entourés de conditions. Il rencontra une jeune fille d’une condition inférieure, et s’éprit d’elle ; elle était vertueuse : il l’épousa ; excellents sentiments ; imprudent mariage. Puis Digby déchoit dans la société ; la femme du colonel ne veut pas frayer avec Mme Digby ; Digby est dédaigné et renié par toute sa famille ; des événements désagréables surviennent dans sa vie de garnison ; Digby vend son grade : l’amour dans une chaumière ; saisie dans ditto. Digby s’était fait beaucoup applaudir comme acteur de société ; il songe à monter sur les planches : il paraît dans la haute comédie ; joue les gentlemen. Il s’essaye dans une ville de province sous un nom supposé ; son échec ; son existence d’auteur ; maladie ; la poitrine est attaquée. La voix de Digby s’enroue et s’affaiblit ; il ne s’en aperçoit pas ; il attribue son échec à l’ignorance d’un public de province ; il paraît à Londres ; il est sifflé ; il retourne en province : tombe dans les petits rôles ; prison ; désespoir ; sa femme meurt ; il s’adresse de nouveau à ses parents : on fait une collecte pour se débarrasser de lui et lui faire quitter le pays. On lui trouve une place au Canada ; il y est poursuivi par la mauvaise fortune : il est probe comme l’or, mais il tient négligemment ses comptes ; sa fille ne peut supporter les hivers du Canada ; Digby revient dans sa patrie ; existence mystérieuse pendant deux ans ; sa petite fille est patiente, rêveuse et affectionnée ; elle a appris à travailler : elle économise pour son père et lui sert parfois de soutien. La constitution de Digby faiblit rapidement ; il songe à ce que deviendra son enfant… au pire malheur de tous ! Pauvre Digby. Il n’a de sa vie commis une action basse ni méchante : et cependant le voilà qui descend la rue, chassé de la maison du colonel Pompley.


CHAPITRE XXIX.

M. Digby entra dans la salle de l’auberge où il avait laissé Hélène. Elle était assise à la fenêtre et regardait curieusement les enfants qui jouaient dans la rue. Hélène Digby n’avait jamais connu le jeu.