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une pièce de terrain attenante à son jardin ; aussi, à peine eut-il vu Richard Avenel entrer, qu’il le prit par son habit et le conduisit à l’écart pour l’entretenir de ses intérêts. Léonard, entraîné par le courant, fut arrêté par une table placée devant un sofa, sur lequel était assise mistress M’Catchley en personne, ayant mistress Pompley à ses côtés. En cette occasion, la dame de la maison avait abandonné son poste à l’entrée du salon, soit qu’elle voulût montrer ses égards particuliers pour mistress M’Catchley, ou qu’elle voulût faire voir à mistress M’Catchley son mépris pour les gens de Screwstown, elle resta à côté de son amie, se contentant d’honorer les personnages marquants de la ville en les présentant à l’illustre visiteuse. Mistress M’Catchley était une fort jolie femme ; elle justifiait les sentiments de mistress Pompley, qui était fière d’avoir une telle amie. Les pommettes de ses joues étaient un peu saillantes, il est vrai, mais cela prouvait la pureté de sa descendance calédonienne. Du reste, elle avait un teint brillant relevé par un soupçon de rouge ; de beaux yeux et de bonnes dents, et une sorte de magnificence dans toute sa personne ; toutes les dames de Screwstown s’accordèrent à trouver sa toilette parfaite. Elle pouvait bien avoir atteint l’âge où on ne serait pas fâché de s’arrêter, mais elle n’était pas encore passée, comme dirait un Français, du moins pour une veuve.

Pendant qu’elle regardait autour d’elle à l’aide d’un lorgnon, mistress M’Catchley aperçut tout à coup Léonard Fairfield ; l’air posé, simple et rêveur de Léonard contrastait si fort avec les élégants guindés qu’on lui avait présentés, qu’elle ne put s’empêcher de dire tout bas à mistress Pompley :

« Ce jeune homme a réellement l’air distingué. Qui est-il ?

— Oh ! dit mistress Pompley avec un mouvement de réelle surprise, c’est le neveu du riche parvenu dont je vous ai parlé ce matin.

— Ah ! et vous dites que c’est l’héritier de M. Arundel ?

— Avenel… non pas Arundel… chère amie.

— Avenel n’est pas un vilain nom, mais son oncle est-il aussi riche qu’on le dit ?

— Le colonel essayait aujourd’hui même d’estimer quelle pouvait être sa fortune, mais il dit que c’est impossible à le deviner.

— Et le jeune homme est son héritier ?

— On le croit ; il est fort intelligent et étudie pour entrer à l’université, à ce que j’ai entendu dire.

— Présentez-le-moi, chère amie ; j’aime les gens intelligents, a dit mistress M’Catchley en se laissant languissamment retomber sur le sofa.

Dix minutes après, Richard Avenel était parvenu à s’échapper des mains du colonel. Ses yeux, attirés dans la direction du sofa par les murmures d’admiration de la foule, aperçurent son neveu soutenant une conversation animée avec l’idole si longtemps caressée de ses rêves, l’objet de son culte secret. Il sentit l’aiguillon de jalousie lui traverser le cœur. Jamais son neveu n’avait eu l’air si distingué ni si intelligent. De fait, le pauvre Léonard n’avait jamais été mis