permis d’émettre une opinion indépendante en matière d’aristocratie, si ce n’eût été du nom bien sonnant de ses parents les Digby. D’après ce principe que l’obscurité grossit les objets, le colonel ne définissait pas très-exactement ce qu’étaient les Digby ; il laissait parfois entendre qu’il s’agissait des Digby inscrits dans Debrett. Mais s’il arrivait à quelque indiscret parvenu (c’était le mot favori des époux Pompley) de lui demander à bout portant s’il voulait parler de lord Digby, le colonel répondait d’un air hautain : « Je parle de la branche aînée, monsieur. » Personne à Screwstown n’avait jamais vu ces Digby ; ils se perdaient dans un mystérieux lointain, même pour la femme du colonel. De temps à autre, le colonel disait, en se reportant aux années de sa jeunesse : « Quand le jeune Digby et moi nous étions enfants ; « puis il ajoutait avec un profond soupir : « Mais nous ne nous rencontrerons plus dans ce monde ! La protection de sa famille lui assura un emploi important dans une colonie anglaise… » Le nom des Digby fermait toujours la bouche à mistress Pompley. Elle ne pouvait être sceptique à l’endroit de cette parenté, car la mère du colonel s’appelait certainement Digby, et le colonel, lui, écartelait les armes des Digby. En revanche, mistress Pompley avait aussi ses parents favoris qu’elle distinguait de tous les autres, quand elle voulait produire de l’effet. Dans mille circonstances, le nom de l’honorable mistress M’Catchley se trouvait naturellement sur ses lèvres. Admirait-on la forme nouvelle de sa robe ou de son chapeau, — sa cousine, mistress M’Catchley, venait de lui en envoyer le modèle de Paris. S’agissait-il de savoir si le ministère tiendrait, — mistress M’Catchley était dans le secret ; seulement, elle avait prié mistress Pompley de garder le silence. Celait-il, — mistress M’Catchley venait d’écrire que des glaçons des régions polaires se dirigeaient vers nos contrées. Les amis de mistress Pompley avait eu pendant si longtemps les oreilles rebattues de la renommée de mistress M’Catchley, qu’ils avaient fini par la regarder comme un mythe, une fiction poétique née de l’imagination de mistress Pompley. Richard Avenel, bien que nullement crédule en général, avait néanmoins une foi aveugle à l’existence de mistress M’Catchley. Il avait appris qu’elle était veuve ; « honorable » de son chef et « honorable » par mariage ; qu’elle jouissait d’un beau douaire et refusait chaque jour des propositions de mariage. De façon ou d’autre, quand Richard venait à songer au mariage, il pensait en même temps à l’honorable mistress Mac Catchley. Peut-être ce romanesque attachement pour la belle invisible avait-il seul préservé son cœur des tentations de Screwstown. Tout à coup, à l’étonnement général, mistress M’Catchley prouva un beau jour son existence, en arrivant chez le colonel Pompley dans une belle voiture de voyage, accompagnée de sa femme de chambre et de son valet de pied : elle venait y passer quelques semaines. Des invitations pour prendra le thé furent faites en son honneur. M. Avenel et son neveu furent du nombre des invités.
Le colonel Pompley, qui ne perdait pas la tête au milieu de l’enivrement général, désirait obtenir de la corporation des marchands