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m’est impossible de m’amouracher d’une douairière flétrie qui remplit ses rides de rouge,

— De quelle douairière parlez-vous ? demanda le positif Audrey.

— Elle a des titres nombreux et variés. Les uns l’appellent la mode ; vous autres, hommes d’affaires, vous l’appelez la politique ; c’est absolument la même chose, tout cela, c’est du déguisement et de l’artifice. Je veux parler de la vie de Londres. Non, je ne puis l’aimer, cette vieille haridelle éreintée.

— Je voudrais bien vous voir amoureux de quelque chose.

— Moi aussi.

— Mais vous êtes si blasé !

— Au contraire, je suis si frais et si naïf ! Regardez par la fenêtre. Que voyez-vous ?

— Rien.

— Rien ?

— Rien que des maisons et des lilas poudreux ; mon cocher qui dort sur son siège et deux femmes chaussées de socques qui traversent le ruisseau.

— Je ne vois rien de tout cela d’où je suis étendu ; je ne vois que les étoiles, et j’éprouve encore pour elle tout ce que j’éprouvais lors que j’étais écolier d’Eton. C’est vous qui êtes blasé et non pas moi ! Mais assez sur ce sujet. Vous n’oublierez pas ma commission concernant l’exilé qui s’est marié dans la famille de votre frère.

— Non ; mais ici, vous m’imposez une tâche plus difficile encore que celle de protéger votre cornette au ministère de la guerre.

— Je sais que cela est difficile parce que les influences contraires sont actives et vigilantes ; mais, d’un autre côté, l’ennemi est si perfide, que nous devons avoir pour nous les destins et les dieux du foyer.

— Néanmoins, dit le positif Audley, en se penchant sur un livre placé sur la table, je crois que le meilleur parti à prendre serait d’essayer d’un compromis avec le traître.

— Si je juge des autres par moi-même, répondit Harley avec fierté, il serai moins pénible d’endurer un affront que de biaiser avec lui. Un compromis avec un ennemi déclaré, cela peut se faire honorablement ; mais avec un ami parjure !

— Vous êtes trop vindicatif, dit Egerton ; pour un ami, il peut y avoir des excuses qui atténuent même…

— Chut ! Audley ! chut ! ou je croirai que le monde vous a corrompu. Excuser un ami qui trompe, qui trahit ! Non, un tel homme est proscrit de l’humanité, et les furies l’entourent, même quand il sommeille dans le temple. »

L’homme du monde leva lentement les yeux sur la figure animée de celui qui était encore assez primitif pour avoir des passions. Puis revenant à son livre, il dit après un moment de silence : « Vous devriez vous marier, Harley, il en est temps !

— Non, répondit L’Estrange, qui accueillit par un sourire la tour-