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ment le membre du Parlement dont les appartements particuliers étaient situés au rez-de-chaussée.

« C’est de votre part le plus étrange caprice, Harley, lui dit-il.

— Quoi ?

— Cette horreur que vous affectez pour les rez-de-chaussée !

— Que j’affecte ! homme vulgaire et terrestre ; mais rien n’est moins naturel pour l’âme humaine qu’un rez-de-chaussée. Nous sommes déjà assez éloignés du ciel, quelques étages que nous montions, sans vouloir encore ramper !

— Pour vous conformer à ce point de vue, dit Audley, vous devriez loger au grenier,

— Je le voudrais bien, si ce n’est que j’abhorre les pantoufles neuves ! Quant aux brosses à cheveux, c’est différent.

— Qu’ont de commun avec un grenier les pantoufles neuves et les brosses à cheveux ?

— Essayez de mettre votre lit dans un grenier, et le lendemain, vous n’aurez plus ni pantoufles ni brosses à cheveux.

— Que seront-elles devenues ?

— Jetées aux chats !

— Ah çà ! voyons, quels contes me faites-vous là, Harley ?

— Quels contes ! Par Apollon et ses neuf filles, il n’y a pas d’être au monde qui ait moins d’imagination qu’un membre distingué du Parlement. Répondez à ma question, vous, honorable membre ! Avez-vous quelquefois gravi les hauteurs des sublimes contemplations ? Avez-vous regardé les étoiles avec le ravissement et l’extase des séraphins ? Avez-vous rêvé un amour, connu seulement des anges, ou avez-vous cherché à saisir dans l’infini le mystère de la vie ?

— Ma foi non, mon pauvre Harley !

— Alors je ne m’étonne plus, mon pauvre Audley, que vous ne puissiez deviner pourquoi celui qui couche dans un grenier, étant troublé par les vils miaulements des chats, leur lance ses pantoufles ? Mais apportez une chaise sur le balcon ! Néron m’a gâté mon cigare ce soir. Je vais fumer maintenant. Vous ne fumez jamais. Mais vous pourrez regarder les arbustes du square. »

Audley frissonna légèrement ; mais, malgré la fraîcheur de la nuit, il suivit le conseil et l’exemple de son ami, et apporta une chaise sur le balcon. Néron vint aussi ; mais à la vue et à l’odeur du cigare, il alla prudemment se réfugier sous la table.

— Audley Egerton, j’ai une demande à adresser au gouvernement.

— J’en suis ravi.

— Il y avait dans mon régiment un cornette qui aurait beaucoup mieux fait de n’y jamais entrer. Nous étions pour la plupart des fous et des freluquets.

— Ce qui ne vous a pas empêché de bien vous battre.

— Les freluquets se battent toujours bien. La vanité et la valeur marchent généralement de pair. César, qui arrangeait avec beaucoup de soin ses rares cheveux, et qui, même en mourant, arrangea les plis