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« Digby, mon vieux compagnon, pouvez-vous me prêter cent livres sterling ? » dit lord L’Estrange en frappant sur l’épaule de son ex-frère d’armes.

Ou eût cru entendre un gamin tant il y avait d’impudence et de sans façon dans cette question.

« Non, Eh bien ! c’est fort heureux, car moi je peux vous les prêter. »

Digby fondit en larmes.

Lord L’Estrange, sans paraître remarquer son émotion, continua avec le même laisser aller.

« Peut-être ignorez-vous que je suis fils d’un père, non-seulement très-riche, mais encore très-généreux, et qu’un cousin m’a laissé une si grande fortune que je mourrais bien vite, si j’étais obligé de mener un train de vie qui y fût conforme. Mais nous avons été jadis, je le crains bien, des gaillards un peu extravagants, et j’ose dire que j’ai été plus d’une fois votre débiteur.

— Mon débiteur ! Ô lord L’Estrange.

— Depuis, vous vous êtes marié et réformé, je suppose. Voyons, contez-moi, mon vieil ami, tous les détails que j’ignore. »

M. Digby, qui était parvenu à rendre quelque calme à ses nerfs ébranlés, se leva et répondit :

« Milord, à quoi sert de parler de moi ! il est inutile de m’assister. Je suis presque mourant. Mais j’ai là mon enfant, mon unique enfant ! » Il s’arrêta un instant, puis continuant rapidement : « J’ai des parents dans une province assez éloignée ; si je pouvais seulement parvenir jusqu’à eux ! j’espère qu’ils s’occuperaient au moins de ma fille. Depuis bien des années, elle est mon appui, l’objet de mes rêves et de mes prières. Je ne pourrais faire le voyage, si vous ne m’aidez. J’ai mendié pour moi sans rougir, rougirai-je maintenant de mendier pour elle ?

— Digby, dit L’Estrange, profondément ému, ne parlez ni de mourir ni de mendier. Vous étiez plus près de la mort, lorsque les balles sifflaient autour de vous à Waterloo. Quand un soldat rencontrant un soldat lui dit : « Ami, ta bourse, » ce n’est pas là mendier, c’est se conduire en frère. Rougir ! Par l’âme de Bélisaire ! Si j’avais besoin d’argent, je me planterais dans un carrefour avec ma médaille de Waterloo sur la poitrine, et je dirais à chaque élégant qui passerait devant moi et que j’aurais sauvé de l’épée des Français : « C’est à vous de rougir, si je meurs de faim. » Maintenant, appuyez-vous sur moi, je vois que vous voudriez être chez vous. Quel est votre chemin ? »

Le pauvre officier fit un signe de la main dans la direction d’Oxford-Street, et accepta, non sans quelque hésitation, le bras qui lui était offert.

« À votre retour de chez vos parents, vous viendrez me voir. Comment ! vous hésitez ? allons, promettez-le-moi !

— Oui ; j’irai vous voir !

— Vous m’en donnez votre parole ?