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cher à sortir sans être aperçu ; mais Richard, qui l’avait vu dans la glace, rougit jusqu’au blanc des yeux

« Jarvis, lui dit-il avec douceur, Jarvis, rappelle-moi qu’il faut faire changer la forme de ce pantalon. »


CHAPITRE XXII.

Pendant que Léonard s’accoutume peu à peu aux splendeurs qui l’entourent, et que poussant un soupir il songe à la petite demeure de sa mère et à la fontaine jaillissante du jardin fleuri de l’Italien, nous allons transporter le lecteur vers la métropole, et tomber au milieu des groupes joyeux qui se promènent dans les allées poudreuses ou s’appuient nonchalamment sur les palissades d’Hyde-Park. On est encore en plein été ; mais le jour si court du monde fashionable de Londres, qui ne commence qu’à deux heures après midi, est déjà sur son déclin. La foule commence à s’éclaircir dans Rotten Row. Près de la statue d’Achille, et à l’écart des autres flâneurs, un gentleman, une main dans son habit et l’autre appuyée sur sa canne, regarde d’un air insouciant les cavaliers et les équipages brillants qui passent devant ses yeux. Il est encore dans toute la force de l’âge, à cette époque de la vie où l’homme est d’habitude le plus social, où les connaissances faites dans la jeunesse sont devenues des amis, et où un personnage qui a un certain rang et une certaine fortune s’est fait une place dans le tableau mouvant de la société. Mais quoique ce gentleman, quand ses contemporains n’étaient encore que des collégiens, eût brillé parmi les princes de la fashion, quoique la nature et les circonstances lui eussent donné toutes les qualités qui permettent de rester homme à la mode jusqu’au bout, ou du moins d’échanger cette fausse célébrité contre une réputation plus sérieuse, il semblait étranger au milieu de la foule de ses concitoyens. Des hommes d’État allaient au sénat ; des dandys prenaient leur vol vers les clubs, et ni un signe de tête, ni un geste amical, ni un sourire engageant ne venaient dire au spectateur solitaire : « Viens, suis-nous, tu es des nôtres. » Quelque beau entre deux âges jetait parfois un second coup d’œil sur le flâneur, mais ce second regard semblait lui prouver qu’il s’était trompé, et le beau continuait son chemin en silence.

« Par la tombe de mes pères ! se dit le solitaire, je sais maintenant ce qu’éprouverait un homme qui ressusciterait et viendrait faire une visite aux vivants ! »

Le temps s’écoulait ; les ombres de la nuit descendaient rapidement ; notre étranger était presque seul dans le parc. Il parut respirer plus librement quand il vit l’espace vide autour de lui.