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du squire, les bonnes choses étaient gâtées par de vieilles coutumes, par des concessions faites au coup d’œil, que l’on ne trouverait plus maintenant dans nos fermes-modèles. Ainsi chez le squire on voyait encore ces grandes haies touffues qui, si elles constituent une des beautés les plus pittoresques de la vieille Angleterre, nuisent fort au produit de ses champs ; puis de grands arbres étendant leur ombre sur les moissons et offrant un abri aux oiseaux ; des bois qui s’avançaient en angle dans les champs, les exposant aux lapins et interceptant les rayons du soleil. Tels étaient, avec d’autres encore, les défauts que le sens commun et Giacomo avaient fait découvrir à l’intelligence pénétrante de Léonard, dans le système d’agriculture du fermier gentleman. Rien de pareil ne se voyait dans le domaine de Richard Avenel. Les champs étaient partagés en vastes divisions ; les haies étaient taillées et élaguées en vue de leur destination qui était de servir de barrières. On ne voyait pas la moindre touffe de blé s’étioler sous le froid ombrage d’un arbre, pas un mètre de terrain laissé à l’abandon ; pas une mauvaise herbe, pas un chardon dressant dans la plaine sa tige nuisible : de jeunes plantations étaient disposées, non selon le bon goût, mais selon la sagesse d’un fermier qui veut les mettre à l’abri du vent.

La beauté manquait-elle ? Non ; mais c’était une beauté d’un genre particulier : une beauté visible seulement pour l’œil des initiés, une beauté d’utilité et de profit, une beauté qui devait produire un énorme revenu. Léonard poussa un cri d’admiration qui pénétra jusqu’au cœur de Richard Avenel.

« À la bonne heure ! Voilà de l’agriculture, dit le paysan.

— Qu’en dites-vous ? fit Richard, dont la mauvaise humeur s’évanouit aussitôt. Si vous aviez vu le terrain, quand je l’ai acheté ! Mais nous autres parvenus, comme on nous appelle (au diable leur impertinence), nous sommes le jeune sang du pays. »

Richard Avenel n’avait jamais rien dit de plus vrai. Puisse ce jeune sang circuler encore longtemps dans les veines de la forte géante ; mais que son grand cœur continue de battre comme aux siècles d’héroïsme et de grandeur.

La voiture traversait en ce moment une avenue bordée d’arbrisseaux, et la maison se dégageait de plus en plus : c’était une maison décorée d’un portique ; les bâtiments consacrés aux différentes parties du service avaient été soigneusement dérobés à la vue.

Le postillon descendit et sonna la cloche.

« Je crois presque qu’on va me faire attendre, » dit M. Richard, à peu près dans les mêmes termes que Louis XIV.

Mais sa crainte ne se réalisa pas ; la porte s’ouvrit : un domestique gros et gras, et portant une livrée, se présenta ; il ouvrit la portière avec un respect grave et taciturne.

« Où est George ? pourquoi ne vient-il pas à la porte ? » Tels furent les premiers mots que prononça Richard en descendant lentement de la voiture et en s’appuyant sur le bras que lui