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finit par accepter quelque vieux capitaine à demi-solde, criblé de blessures, et il répondit que pour ce qui était du loyer, si le client de l’avoué était un homme paisible et honorable, il n’y tenait guère : il laisserait la maison au gentleman sans exiger de loyer pour la première année, à la condition seulement pour le locataire de payer les impôts et de réparer un peu l’habitation. Si tous deux se convenaient, ils pourraient s’entendre ensuite. Dix jours après cette gracieuse réponse, le signor Riccabocca et son domestique arrivèrent : et avant la fin de l’année, le squire fut si content de son locataire qu’il lui fit un bail de sept, quatorze ou vingt et un ans à un prix purement nominal, pourvu que le signor Riccabocca consentît à tenir les lieux en un bon état, à consolider les toits et les palissades que le squire avait généreusement remis à neuf à ses frais. Ce fut chose surprenante de voir combien l’Italien embellit peu à peu l’habitation et à combien peu de frais. Il est vrai qu’il avait peint de ses propres mains les murailles de la salle d’entrée, de l’escalier et des chambres de son appartement. Son domestique avait fait la plus grande partie des tapisseries : tous deux s’étaient partagé les soins du jardin : les Italiens semblaient s’être unis dans leur amour pour cet endroit et ils cherchaient à l’embellir, comme ils auraient pu faire de quelque chapelle favorite en l’honneur de leur sainte madone.

Il fallut aux habitants du pays beaucoup de temps pour s’habituer aux manières singulières des étrangers. Ce qui les offensa d’abord ce fut la parcimonie avec laquelle ils vivaient. En effet, trois jours sur sept, le domestique et le maître ne mangeaient que des légumes du jardin et des poissons du ruisseau voisin. Quand ils ne pouvaient point attraper de truites, ils faisaient frire des vérons ; dans tous les cours d’eau, les vérons sont plus abondants que les truites. Le second point qui excita la colère des naturels, celle des femmes surtout, ce fut le peu d’occupation que ces deux hommes donnaient à un sexe regardé habituellement comme indispensable dans les affaires du ménage. D’abord, ils avaient commencé par se passer complètement de femmes ; mais il s’éleva contre eux un tel cri d’horreur, que le curé Dale s’aventura à toucher un mot sur ce sujet. Riccabocca prit la chose en bonne part et une vieille femme fut conséquemment engagée à trois shillings par semaine, prix débattu, pour laver et frotter autant qu’elle le pourrait pendant la journée. Elle rentrait toujours coucher chez elle. Le domestique mâle, que l’on appelait dans le voisinage Jackeymo, remplissait tous les autres offices auprès de son maître. Il balayait sa chambre, époussetait ses papiers, préparait son café, faisant cuire son dîner, brossait ses habits et nettoyait ses pipes. Or le docteur en avait une ample collection. Mais quelque caché que soit le cœur d’un homme, il finit toujours par se faire connaître peu à peu. En bien des petites circonstances l’Italien avait fait preuve de bonté, de générosité même, quoique plus rarement ; tout cela avait servi à imposer silence à ses calomniateurs, et il s’était fait insensiblement une bonne réputation. On le soupçonnait bien, il est vrai, d’avoir quelque penchant pour la magie noire et une