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mère, il embrassa mistress Avenel sur la joue ; puis prenant la main de John, il la baisa aussi. Le vieillard, qui dormait à moitié, murmura ces mots : « C’est Nora ! »

Léonard s’était retiré dans sa chambre depuis une demi-heure, lorsque Richard rentra sans bruit et vint retrouver ses parents.

« Eh bien ! mère ? dit-il.

— Eh bien ! Richard ! vous l’avez vu ?

— Oui, et il me plaît fort. Savez-vous qu’il a une grande ressemblance avec la pauvre Nora ? Il lui ressemble plus qu’à Jeanne.

— Oui, il est mieux que Jeanne n’a jamais été ; il ressemble plus que personne à votre père. John était si beau ! Vous vous sentez donc de la sympathie pour ce jeune homme ?

— Oui, certainement. Dites-lui qu’il doit partir demain avec un monsieur qui sera son ami ; ne lui en dites pas davantage. La voiture sera à la porte après le déjeuner, qu’il monte dedans ; je l’attendrai au sortir de la ville. Quelle chambre lui avez-vous donnée ?

— La chambre dont vous n’avez pas voulu.

— La chambre de Nora ? Oh, non ! je n’aurais jamais pu y fermer l’œil ! Quel charme avait cette jeune fille ! comme nous l’aimions tous ! Mais elle était trop belle et trop bonne pour nous ! trop bonne pour vivre !

— Personne n’est jamais trop bon, dit mistress Avenel d’un ton sévère, et je vous prie ne pas parler ainsi. Bonsoir ; il faut que j’aille coucher votre père. »

Léonard, en ouvrant les yeux le lendemain, vit la figure de mistress Avenel penchée sur son chevet. Il fut longtemps sans reconnaître cette physionomie, tant elle était changée ! Elle respirait une si vive tendresse maternelle ! Jamais la figure même de sa mère ne lui avait apparu si douce et si aimante.

Il poussa une exclamation, se leva sur son séant et passa les bras autour du cou de sa grand’mère. Mistress Avenel, surprise cette fois, lui rendit tendrement ses baisers, et le pressa contre son sein ; puis, tout d’un coup, s’échappant de ses bras, elle se mit à marcher de long en large dans sa chambre, les mains convulsivement serrées l’une contre l’autre. Après quoi s’arrêtant, elle reprit sa sévérité ordinaire et ses manières froides.

« Il est temps de vous lever, Léonard, dit-elle. Vous nous quitterez aujourd’hui. Un monsieur m’a promis de se charger de vous et de faire pour vous plus que nous ne pourrions. La voiture sera bientôt à la porte. Dépêchez-vous ! »

John ne parut pas au déjeuner ; mistress Avenel dit qu’il ne se levait jamais que fort tard et qu’il ne fallait pas le déranger.

À peine le repas était-il terminé, qu’une voiture attelée de deux chevaux s’arrêta à la porte.

« Ne faites pas attendre la voiture, ce monsieur est très-exact.

— Mais il n’est pas venu !

— Non ; il est allé en avant ; il ne montera qu’à la porte de la ville.