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— Vous êtes bien bon ; mais cela vous détournera peut-être de votre route.

— Non ; ah ! vous allez donc aussi chez M. Avenel ? Un bon vieillard.

— C’est ce que j’ai toujours entendu dire ; et mistress Avenel ?

— C’est une femme supérieure, dit Richard. Si vous avez quelque autre chose à me demander, je connais bien la famille.

— Non, je vous remercie, monsieur.

— Il y a un fils, je crois, mais il est en Amérique, n’est-ce pas ?

— Je crois que oui, monsieur.

— Je vois que le curé m’a tenu parole, pensa Richard.

— Si vous pouvez me donner quelques renseignements sur lui, j’en serai bien aise.

— Vraiment, jeune homme ! Eh bien ! peut-être à l’heure qu’il est, est-il pendu !

— Pendu !

— C’était un mauvais garnement, à ce que j’ai entendu dire.

— Alors vous avez entendu dire des mensonges, monsieur, fit Léonard, dont le visage se colora.

— Oui, je le répète… un mauvais garnement… les siens ont été bien contents, quand il est parti… On dit qu’il a gagné de l’argent ; mais si cela est vrai, il a honteusement abandonné ses parents.

— Monsieur, dit Léonard, vous êtes tout à fait mal informé. Il s’est montré très-généreux à l’égard d’un parent qui ne devait guère prétendre à ses bienfaits, et je n’ai jamais entendu prononcer son nom qu’avec affection. »

Richard se mit instantanément à fredonner l’air de Yankee Doodle et fit plusieurs pas sans dire mot. Il s’excusa tout doucement de son impertinence en disant qu’il espérait bien n’avoir offensé personne, et avec cette hardiesse et cette astuce de langage qui lui étaient naturelles, il essaya de tirer quelque chose de son nouveau compagnon Il fut évidemment frappé de la netteté et de la correction avec lesquelles s’exprimait Léonard ; plus d’une fois il leva les yeux d’un air surpris et regarda son interlocuteur jusque dans le blanc des yeux ; il était à la fois attentif et charmé. Léonard portait les habits neufs que Riccabocca et sa femme lui avaient fournis. C’étaient les vêtements d’un jeune marchand de campagne à son aise, et comme Léonard n’était nullement préoccupé des nouveaux habits qu’il portait, il avait sans le savoir quelque chose de la désinvolture d’un gentleman.

Ils arrivèrent dans les champs. Léonard s’arrêta devant une pièce de seigle.

« Il me semble, dit-il, qu’un pré eût été plus productif si près de la ville ?

— Sans aucun doute, répondit Richard ; mais ils sont si arriérés dans ces pays-ci ! Voyez-vous le grand parc là-bas, de l’autre côté de la route ? Il vaudrait beaucoup mieux qu’il y eût là du seigle que