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Hazeldean. Elle avait été bâtie par son grand-père maternel, gentilhomme campagnard, qui était allé en Italie (voyage assez rare alors pour qu’on pût s’en vanter). À son retour dans ses foyers, il avait tenté d’imiter en miniature une villa italienne. Il laissa pour héritière une fille unique qui épousa le père du squire Hazeldean. Depuis cette époque, la maison, délaissée par ses propriétaires pour la résidence plus vaste des Hazeldean, était restée inhabitée et abandonnée. Plusieurs locataires s’étaient présentés, mais les honnêtes squires de campagne admettent difficilement dans leurs propriétés un voisin rival. Les uns désiraient chasser : « pour cela, disaient les Hazeldean, qui étaient grands chasseurs et fort avares de gibier, c’est tout à fait hors de question. » Les autres étaient de grands personnages de Londres : « les domestiques de Londres, disaient les Hazeldean, gens prudents et sévères sur la morale, corrompraient les nôtres et apporteraient ici les prix de Londres. » D’autres encore étaient des négociants retirés : sur quoi les Hazeldean relevaient leurs nez d’agriculteurs. Bref, les uns étaient de trop haute volée, les autres de trop basse condition. Ils refusaient les uns parce qu’ils les connaissaient trop bien, « les amis valent mieux à distance, » disaient-ils. Ils refusaient les autres parce qu’ils ne les connaissaient point du tout. « Les étrangers ne portent pas bonheur, » disaient-ils encore. À la fin, comme la maison tombait de plus en plus en ruines, personne n’en voulut à moins qu’elle ne fût réparée au fond en comble, « comme si l’on était cousu d’argent, » disaient les Hazeldean. Si bien que la maison restait inhabitée et ruinée. C’est alors que parurent sur la terrasse les deux Italiens solitaires, se regardant avec un sourire : on eût dit que pour la première fois depuis qu’ils avaient mis le pied en Angleterre, ils reconnaissaient dans des piliers à moitié renversés, dans des statues brisées, dans une terrasse où l’herbe croissait, dans une orangerie en ruines, un souvenir de la patrie qu’ils avaient quittée.

En retournant à l’auberge, le docteur Riccabocca apprit de l’aubergiste lui-même, locataire du squire, diverses particularités relatives à l’habitation en question. Peu de jours après, M. Hazeldean reçut une lettre d’un avoué célèbre de Londres qui lui donnait avis qu’un étranger très-respectable l’avait chargé d’entrer en affaires pour Clump-Lodge, autrement appelé le Casino. On prévenait en même temps que ledit gentleman ne chassait pas, qu’il vivait dans la plus grande retraite, et, que n’ayant pas de famille, il ne demanderait aucune réparation, pourvu toutefois que le toit fût à l’épreuve de la pluie. Il espérait qu’en se montrant aussi accommodant, il trouverait le loyer accessible à ses modiques ressources. L’offre arriva à un heureux moment : l’intendant venait de représenter au squire la nécessité de faire quelques travaux pour empêcher le Casino de tomber complètement ; et le squire maudissait le destin qui avait fait du Casino un bien substitué, de telle sorte qu’il ne pouvait le démolir pour en utiliser les matériaux. M. Hazeldean saisit au vol la proposition, comme une belle dame qui a refusé les meilleurs prétendants du royaume