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CHAPITRE XV.

« Ah ! mon enfant, dit le curé, si je voulais prouver la valeur de la religion, crois-tu que je la servirais beaucoup en prenant pour devise ces mots : « La religion, c’est le pouvoir. » Ne serait-ce pas là une manière basse et sordide d’envisager ses avantages ? Ne dirais-tu pas : « Celui qui regarde la religion comme un pouvoir, a l’intention d’en abuser au profit du parti prêtre. »

— Bien posé ! dit Riccabocca.

— Attendez un instant. Laissez-moi réfléchir ! Ah ! je comprends…. monsieur, dit Léonard.

Le curé. Si la cause est sainte, ne la pesez pas dans la balance du marchand ; si son but est pacifique, ne cherchez pas à lui donner des armes comme pour la lutte ; si elle est un ciment qui fait de la société un tout compact, ne la vantez pas comme étant l’instrument du triomphe d’une classe sur l’autre.

Léonard (naïvement). Vous relevez noblement mon erreur, monsieur. Le savoir est un pouvoir, mais non dans le sens où j’avais interprété la devise.

Le curé. Sans doute ; le savoir, dans l’ordre moral, est un pouvoir, mais il n’a pas toujours pour résultat immédiat de procurer des avantages matériels à celui qui le possède. C’est de toutes les influences la plus lente à se produire, parce que c’est celle qui est la plus durable. Une pensée, avant de dominer, peut attendre mille ans, et celui qui l’a émise peut être mort dans la misère ou dans les chaînes.

Riccabocca. Notre proverbe italien dit que : « L’initiateur est comme un flambeau qui se consume en éclairant les autres. »

Le curé. Voilà pourquoi celui qui ambitionne loyalement la science doit l’acquérir pour assurer le pouvoir à ses idées, et non pour s’assurer le pouvoir à lui-même : la conscience seule doit être son asile, et, comme la conscience, elle ne doit espérer aucune récompense certaine en deçà de la tombe. Et puisque la science peut se mêler au bien et au mal, ne serait-il pas mieux de dire : « La science est un dépôt ? »

— Vous avez raison, monsieur, dit Léonard avec transport ; continuez, je vous prie.

Le curé. Tu me demandes pourquoi nous t’encourageons à apprendre. D’abord, comme tu le dis toi-même dans ton Essai, parce que la science, abstraction faite des avantages matériels qu’elle peut procurer, est en elle-même une jouissance, et doit même être quelque chose de plus. On peut en abuser, comme on peut abuser de la liberté ou de la religion. Mais je n’ai pas plus le droit de dire que le pauvre