ments. Ainsi, tu le reconnais : des nations peuvent être battues par d’autres nations moins instruites et moins civilisées.
Léonard. Mais le savoir élève les hommes. J’invite ceux qui appartiennent à mon humble classe à acquérir le savoir, parce que le savoir les élèvera au pouvoir.
Riccabocca. Qu’avez-vous à dire là-dessus, monsieur Dale ?
Le curé. D’abord, est-il vrai que la classe qui a le plus de savoir ait le plus de pouvoir ? Je prends par exemple les philosophes, tels que mon ami le docteur Riccabocca : je suppose qu’ils représentent la partie la plus savante de l’humanité ; fais-moi le plaisir de me dire à quelle époque les philosophes ont gouverné le monde ? Ne se plaignent-ils pas tous les jours de n’être pas écoutés ?
Riccabocca. Per Bacco ! si on nous avait écoutés, le monde aurait une drôle de tournure aujourd’hui !
Le curé. Très-probablement. Mais, en thèse générale, ceux-là ont le plus de science qui s’y adonnent le plus. Au surplus, laissons de côté les philosophes, qui ne sont souvent que d’ingénieux lunatiques, et ne parlons que des érudits, des hommes de lettres et de sciences, des professeurs, et des agrégés de collèges. Je crois que tous les membres du Parlement seraient d’accord pour dire qu’il n’y a pas de classe d’hommes qui ait actuellement moins d’influence sur les affaires publiques. Ces savants ont plus de connaissances que des manufacturiers, des armateurs, des squires et des fermiers ; mais crois-tu qu’ils aient plus de pouvoir ?
— Ils le devraient, dit Léonard.
— Ils le devraient, dit le curé : Eh bien ! examinons ce dernier point. Mais d’abord il ne faut pas t’écarter toi-même de ta proposition qui est celle-ci : savoir, c’est pouvoir, et non, savoir devrait être pouvoir. Maintenant, même en admettant ton corollaire, c’est-à-dire que le pouvoir d’une classe de la société est proportionné à son savoir, crois-tu que pendant que ta classe, la classe ouvrière, s’instruirait, tout le reste de la communauté demeurerait immobile ? Répandez les connaissances tant que vous pourrez, vous ne produirez jamais l’égalité du savoir. Ceux qui ont le plus de loisir, d’application, d’aptitude, ceux-là seront toujours les plus savants. En vertu d’une loi très-naturelle, plus le goût du savoir se répandra, plus la concurrence, qui augmente toujours, favorisera les hommes les plus avantagés par les circonstances et la nature. Aujourd’hui une grande somme de connaissances est répandue dans la société, si l’on compare notre époque à celle du moyen âge ; mais n’y a-t-il pas aussi une plus grande différence entre le gentleman qui a reçu une belle éducation et l’ouvrier intelligent, qu’il n’y en avait alors entre le baron qui ne savait pas signer et le garçon de charrue ? Ce que le progrès des lumières a produit jusqu’ici il le produira toujours. Il en est du savoir comme du capital : plus il y en a dans un pays, plus grandes sont les inégalités d’homme à homme. Par conséquent si les classes laborieuses croissent en savoir, les autres en font autant, et si les classes laborieuses croissent paisiblement et légalement en