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Mais non ? » Et le pauvre curé de s’arrêter court dans la déplorable confusion de ses idées ne sachant quels termes employer pour ne pas blesser son interlocuteur.

M. Avenel jouit un moment de son embarras, puis il lui dit :

« Eh bien, mettons qu’il soit radical, c’est assez naturel, puisqu’il n’a pas un liard à perdre ; enfin tout vient en son temps. Je ne suis pas radical, je suis trop sage pour cela, je la crois du moins. Mais je souhaite voir les choses devenir autres qu’elles ne sont. Je ne demande pas, croyez-le bien, que le bas peuple qui n’a rien, fasse la loi aux classes élevées. Je ne le désire pas, non, quoiqu’il me répugne de voir une petite fraction de la population qu’on appelle lords et squires avoir la haute main sur tout. Je pense, monsieur, que ce sont des hommes comme moi qui devraient tenir le haut de l’échelle. Voilà le fin mot de la chose ! Qu’en dites-vous ?

— Je n’ai pas la moindre objection à faire là dessus, » dit avec humilité le curé, dont les oreilles étaient singulièrement basses.

Mais pour lui rendre justice, je dois ajouter qu’il ne savait plus le moins du monde ce qu’il disait.


CHAPITRE XIII.

Ignorant complètement les démarches diplomatiques du curé Dale pour amener un changement dans sa destinée, Léonard Fairfield savourait les premières douceurs de la gloire. La principale ville du voisinage avait, suivant la mode du temps, fondé un institut mécanique ; des personnes considérables, intéressées à la fondation de cet Athénée, avaient proposé un prix pour le meilleur essai sur la propagation des lumières, sujet bien rebattu et sur lequel pourtant il reste encore beaucoup à dire. Ce prix venait d’être remporté par Léonard Fairfield. Son essai avait reçu des éloges publics en présence de l’assemblée générale des membres de l’institut ; il avait été imprimé aux frais de la société qui avait décerné à l’auteur une médaille représentant Apollon couronnant le mérite : ce pauvre mérite n’avait pas même un méchant habit sur le dos ; il ne faut pas s’en étonner : car le mérite, quand Apollon seul s’en occupe, n’est jamais une très-bonne pratique pour le tailleur. Enfin la Gazette de la localité avait annoncé que la Grande-Bretagne venait de donner naissance à un nouveau prodige, dans la personne du garçon jardinier de Riccabocca, qui s’était instruit tout seul.

L’attention publique se porta dès lors sur les inventions mécaniques de Léonard. Le squire, toujours avide de perfectionnements,