pas de force à tenir tête à ces diables d’aristocrates, et que je ne ferais pas, dans un salon, aussi bonne figure que je le voudrais. Je pourrais entrer au parlement, s’il me plaisait : mais je pourrais bien m’y faire gouailler : aussi, tout bien considéré, si je puis trouver un jeune associé propre à traiter avec le public, je pense que la maison Avenel et compagnie pourra faire honneur à notre pays. Vous me comprenez, monsieur ?
— Oh ! très-bien, répondit M. Dale, souriant, quoiqu’il conservât une certaine gravité.
— Maintenant, continua le parvenu, je ne rougis pas de devoir ma position à mon propre mérite, et je ne cache pas ce que j’ai été. Quand je suis dans mon hôtel, j’aime à me dire, j’ai débarqué à New-York avec dix livres sterling dans ma bourse, et voici ce que je suis devenu. Mais il ne faudrait pas avoir de vieux parents avec soi. On vous prend avec vos défauts, quand vous êtes riche, mais on n’englobe pas votre famille dans le marché. Par conséquent, si je ne puis pas avoir chez moi, mon père et ma mère, que j’aime tendrement et que je voudrais voir assis à ma table, avec des domestiques derrière leurs sièges, je pourrais encore moins prendre ma sœur Jeanne. Je me la rappelle fort bien, elle ne peut pas avoir gagné de bonnes manières en vieillissant. Je vous supplie donc de ne pas exiger qu’elle accompagne son fils ; cela ne serait convenable en aucune façon. Ne lui dites pas un mot de moi. Mais envoyez l’enfant à son grand-père, et je le verrai tranquillement, vous me comprenez.
— Il sera bien dur de la séparer de son enfant.
— Bah ! tous les enfants se séparent de leurs parents, pour entrer dans le monde. Ainsi c’est entendu. Maintenant ; dites-moi, je sais que mes parents ont toujours méprisé Jeanne, ma mère du moins, car mon pauvre cher père n’a jamais méprisé personne. Mais si ma mère ne s’est pas toujours très-bien conduite envers Jeanne, il ne faut pas lui en vouloir pour cela. Nous étions nombreux, nos parents tenaient boutique dans High-Street : il fallait nous caser comme on pouvait. Jeanne qui était très-utile et qui avait du courage, fut placée quand elle était encore toute petite ; elle n’eut pas le temps de rien apprendre. Plus tard mon père fit de bonnes affaires : après une élection, où il se remua beaucoup pour les bleus, (car c’était un fameux faiseur d’élections que mon pauvre père !) il obtint la pratique de lord Lansmere. Milady devint la marraine de Nora : C’est alors que tous mes frères et que deux de mes sœurs moururent et que mon père quitta les affaires, et quand il retira Jeanne qui était placée, elle avait des manières communes et ma mère ne pouvait s’empêcher de la comparer avec chagrin à Nora. Les parents ont de la prédilection pour ceux de leurs enfants qui réussissent le mieux dans le monde. C’est naturel. Ainsi il ne se sont occupés de moi que lorsqu’ils m’ont vu revenir tel que je suis aujourd’hui. Mais pour parler de Jeanne je crains qu’ils ne l’aient trop délaissée. Dans quelle position est-elle ?