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— Hum ! fit le curé.,.. Vous pouvez desservir. Il sera bientôt nuit et je vais aller faire un tour. »

Le curé mit son chapeau et sortit. Il regardait les maisons à droite et à gauche avec l’intérêt vif et triste à la fois d’un homme arrivé à la maturité de l’âge, et qui revoit des lieux tout pleins de ses souvenirs d’enfance ; surpris de trouver ou si peu ou tant de changements, il voyait soudain apparaître devant lui quelque vieille connaissance, ou se rappelait tout à coup une émotion passée. La grande rue qu’il suivait commença peu à peu à perdre son caractère bruyant pour se changer insensiblement en une rue de faubourg. À gauche, les maisons faisaient place aux palissades, couvertes de mousses, du parc Lansmere. À droite se voyaient encore des maisons, mais séparées par des jardins et ayant l’apparence de villas ; de villas telles que les choisissent, pour le soir de leur vie, les commerçants retirés ou leurs veuves, les vieilles filles et les officiers en retraite.

M. Dale regarda ces villas en homme qui cherche à rappeler tous ses souvenirs, et à la fin il s’arrêta devant l’une d’elles. C’était la dernière de la route et elle faisait face à la longue allée verte qui s’étendait devant la loge du garde de Lansmere. Un vieux saule étêté s’élevait près de la porte et il en sortait un bruit sourd et discordant ; c’étaient les cris de jeunes corbeaux affamés, attendant le tardif retour de leur mère. M. Dale passa la main sur son front, s’arrêta un moment, puis il traversa le petit jardin d’un pas vif et frappa à la porte. Une lumière éclairait la salle, et M. Dale put apercevoir à travers la fenêtre l’ombre de trois personnes. Au coup qu’il avait frappé, il se fit un mouvement à l’intérieur. Une des personnes se leva et disparut. Une servante propre et soignée, entre deux âges, parut sur le seuil et demanda d’un ton roide ce que voulait le visiteur.

« Je désire parler à monsieur ou à mistress Avenel. Dites-leur que j’ai fait plusieurs milles pour les voir et remettez-leur cette carte. »

La servante prit la carte et referma à demi la porte. Trois minutes s’écoulèrent avant son retour.

« Mistress dit qu’il est bien tard, monsieur, mais que vous entriez cependant. »

Le curé se rendit à cette invitation peu gracieuse, et entra dans la salle.

Le vieux John Avenel, homme à la figure ouverte et qui semblait légèrement paralysé, se leva lentement de son fauteuil. Mistress Avenel coiffée d’un bonnet d’une propreté et d’une roideur toutes puritaines, et vêtue d’une robe grise dont chaque pli témoignait de son austère honnêteté, se tenait droite dans la chambre, et fixant sur le curé un regard froid et circonspect, elle lui dit :

« Vous nous faites grand honneur, monsieur Dale. Prenez un siège. Vous avez à nous parler d’affaires ?

— J’ai déjà prévenu M. Avenel, par lettre, de ce dont il s’agit.

— Mon mari est fort souffrant.