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d’écurie et entra dans le salon sablé de l’auberge pour s’étendre sur un fauteuil très-peu moelleux.

Il était là depuis plus d’une demi-heure, lisant le journal de la localité, qui exhalait une odeur assez forte de tabac, et s’évertuant à chasser les mouches, qui l’assiégeaient comme si elles eussent voulu savoir positivement quel goût avait la chair d’un curé. En ce moment une diligence s’arrêta devant l’auberge. Un voyageur en sortit, qui tenait à la main un sac de nuit, et se présenta dans le salon.

Le curé le salua poliment.

Le voyageur porta le doigt à son chapeau, sans se découvrir, et examina M. Dale de la tête aux pieds ; puis il marcha vers la fenêtre, siffla d’un air impatienté, se dirigea vers la cheminée, tira le cordon de la sonnette et regarda de nouveau fixement le curé ; celui-ci ayant courtoisement déposé le journal, le voyageur s’en saisit, se jeta sur une chaise, lança négligemment une de ses jambes sur la table et l’autre sur le manteau de la cheminée, puis se mit à lire ; enfin il pencha sa chaise en arrière avec un oubli si imprudent des lois de l’équilibre, que le curé, qui s’attendait à chaque instant à le voir tomber à la renverse, lui dit d’un ton de compassion :

« Ces chaises sont bien perfides, monsieur. Je crains que vous ne tombiez.

— Eh ! dit le voyageur levant des yeux étonnés, que je ne tombe ! Vous êtes mordant, monsieur.

— Mordant ! Sur l’honneur, telle n’est pas mon intention, s’écria le curé d’un air grave.

— Il me semble, continua le voyageur avec humeur, que tout homme libre a bien le droit de s’asseoir chez lui comme il l’entend ; or, à l’auberge, il est chez lui, je présume, quand il paye. Élisabeth, ma bonne ! »

Car une servante avait répondu au coup de sonnette.

« Je ne suis pas Élisabeth, monsieur. Avez-vous besoin d’elle ?

— Non, Sarah ! Un grog froid et un biscuit.

— Je ne m’appelle pas Sarah, » murmura la servante.

Mais le voyageur, en se retournant, laissa voir une si jolie cravate, une si aimable figure, qu’elle sourit, rougit et disparut.

Le voyageur, ayant déposé le journal, avisa le chapeau à larges bords du curé, qui se trouvait sur une chaise.

« Vous êtes ecclésiastique, à ce que je vois, monsieur, » dit le voyageur d’un air narquois.

Et M. Dale de saluer de nouveau avec modestie et en même temps avec dignité. Un salut qui disait : « Il n’y a pas là d’offense, monsieur ; je suis ecclésiastique et je n’en rougis pas.

— Allez-vous loin ? demanda le voyageur.

Le curé. Pas très-loin.

Le voyageur. En chaise de poste ou en diligence ?

— Je voyage à cheval, dit le curé avec une nuance de fierté.

— À cheval ! Eh bien, franchement, je ne l’aurais pas deviné. Vous n’avez pas l’air d’un cavalier. Où disiez-vous que vous alliez ?