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mit au petit trot, et conduisit bientôt le curé sur la grande route presque en face du casino.

Là, il aperçut devant sa porte, à l’ombre de son grand parapluie, le docteur Riccabocca.

L’Italien leva les yeux de dessus le livre qu’il lisait, et regarda fixement le curé. Celui-ci ne se risqua pas à perdre de vue sa monture, car la bête, en voyant apparaître Riccabocca, avait dressé les oreilles et manifesté ces symptômes de surprise et de superstitieuse résistance que les chevaux éprouvent devant les objets inconnus ; disposition qu’on exprime généralement par l’épithète d’ombrageux. Notre curé ne regardait donc Riccabocca que du coin de l’œil.

« Ne bougez pas, je vous en prie, dit le curé, ou vous allez faire peur à cette bête, qui est craintive et timide. Allons ! doucement !… doucement !… »

Et il se mit à caresser l’animal avec onction.

La bête, ainsi encouragée, surmonta le premier mouvement d’étonnement que lui avait causé la vue de Riccabocca et de son parapluie rouge. Comme elle était déjà venue au casino plusieurs fois, et qu’elle préférait prudemment les endroits qu’elle connaissait à ceux qu’elle ne connaissait pas, elle s’avança gravement vers la porte où était assis l’Italien ; et, après l’avoir regardé comme pour lui dire : « Vous me feriez bien plaisir de vous en aller, » elle vint donner de la tête sur une fausse porte.

« Eh bien ! dit Riccabocca, puisque votre cheval semble disposé à être plus poli que vous à mon égard, monsieur Dale, je profite de votre présence involontaire pour vous féliciter de votre élévation ; je forme des vœux sincères pour que Votre Éminence ne tombe pas par terre.

— Comment donc, dit le curé affectant un ton dégagé, tout en ne perdant par de vue la bête qui semblait faire un petit somme. Il est vrai que, depuis longues années, je ne suis pas monté à cheval, et que les chevaux du squire sont bien nourris et qu’ils ont du feu. Mais, il n’y a pas plus à craindre d eux que de leur maître, quand une fois on connaît leurs façons.


Chi va piano va sano,
E chi va sano va lontano,


dit Riccabocca en montrant le sac de nuit. Vous allez lentement et par conséquent sûrement ; et celui qui va sûrement peut aller loin. Vous vous disposez donc à un voyage ?

— Oui, dit le curé, et pour une affaire qui vous concerne un peu.

— Moi ! s’écria Riccabocca ; qui me concerne !…

— Oui ; si toutefois vous êtes sensible au risque de perdre un serviteur que vous aimez et que vous estimez.

— Oh ! dit Riccabocca, je comprends. Vous m’avez souvent donné à entendre que moi ou la science, ou tous les deux réunis, avions rendu Léonard impropre au service.